Surréalisantes

Surréalisantes #14 - Leonor Fini

© Man Ray Trust / Adagp, Paris Surréalisantes #14 - Leonor Fini
© Man Ray Trust / Adagp, Paris

Le surréalisme est sans doute le mouvement artistique du 20e siècle le plus européen. Connecté par ses capitales, le continent a vécu dès 1924 et la publication par André Breton du Manifeste du surréalisme, au rythme de ce mouvement fou et révolutionnaire.

Le portrait d’aujourd’hui est dédié à un électron libre du surréalisme : Leonor Fini

Une artiste vraiment à part dans l’histoire du mouvement, et que j’ai eu le bonheur d’étudier pendant mon mémoire de recherche, aux côtés de Leonora Carrington dont j’ai déjà parlé à ce micro. Leonor Fini naît à Buenos Aires le 30 août 1908 d’un père riche homme d’affaires argentin, et d’une mère originaire de Trieste. Alors que la petite Leonor a quelques mois, sa mère quitte son mari et l’emmène avec elle en Italie. Elle devient une enfant cultivée mais au caractère bouillonnant. Impossible de la garder sur un banc d’école une journée durant.

Elle découvre le plaisir immense qu’elle trouve à se mettre elle-même en scène

Enfant adulée des adultes cultivés de Trieste, Leonor aime les masques et les costumes, se parer de mille identités. “Le petit enfant croit qu’il est le monde. Chacun en reste un peu marqué. Mais moi, j’ai accepté cela officiellement. Je l’ai vécu et célébré”, écrit-elle dans un texte de 1973 (1). Cette théâtralisation de soi est la clef de son œuvre. Mais pour comprendre, plongeons-nous en 1931. Leonor a 23 ans, elle vit à Milan où elle a déjà un petit nom dans la peinture, pour ses toiles encore assez classiques inspirées de la mythologie grecque. Du jour au lendemain, elle saute dans le premier train pour Paris pour retrouver un amant : le prince Lorenzo Lanza del Vasto.

Quelle vie romanesque !

Vous ne croyez pas si bien dire, Laurence, parce qu’elle se retrouve par hasard dans le même compartiment que Filippo de Pisis, peintre proche des avant-gardes parisiennes. Sa liaison avec le prince dure à peine un an, mais Leonor ne quittera plus jamais Paris. Grâce à de Pisis, elle rencontre de fil en aiguille les surréalistes, notamment l’écrivain André Pieyre de Mandiargues : le grand amour de sa vie et partenaire artistique. Indépendante et ambitieuse, Leonor se confronte à la réalité du monde de l’art parisien contrôlé par des hommes. Dans une lettre à Mandiargues (2) elle écrit “J’ai tant de mal à faire carrière ! Il est possible que je n’y parvienne jamais [...] à cause de la méfiance naturelle qu’on a pour les femmes”, plus loin, elle parle d’un certain Pierre Roy, peintre de 28 ans son aîné, “je sais qu’il rêve de faire boum boum avec moi, ce sale vieillard. J’aimerais tous les fouetter, ces maudits hommes.” Tout ceci a un air de déjà-vu…

Et malgré tout ça, Leonor Fini va réussir à faire carrière, et pas qu’un peu

À Paris, elle élabore un style unique de peinture, peuplé de créatures étranges : des sphynx, méduses et monstresses à qui elle prête son visage. Elle s’inspire des idées surréalistes sans jamais vouloir prêter allégeance au groupe. D’ailleurs, elle traitait volontiers leur chef André Breton de “crétin” et de “tyran”. Sa personnalité fantasque l’a fait remarquer, et elle ne perd pas une occasion, une fête pour faire une apparition fracassante en costumes. À partir des années 1950, on peut même qualifier son ascension de vertigineuse. Elle dessine les costumes pour le ballet de Paris, collabore avec Elsa Schiaparelli, inspire Jean Cocteau… Touche-à-tout, elle se lance dans l’écriture et publie plusieurs fictions dans les années 1970, où elle déploie ses mondes étranges et son imagination sans limite.

Une oeuvre et une vie au moins aussi longues, où elle n’abandonnera jamais son indépendance

Elle meurt le 18 janvier 1996, à 88 ans dans un hôpital d’Aubervilliers, laissant derrière elle ses 17 chats. Pas d’inquiétude, elle avait tout prévu pour qu’ils continuent à vivre dans ses appartements. Jamais mariée, mais entourée d’une cour d’amants et d’amis, avec qui elle partait chaque année l’été dans un monastère abandonné de Corse, Leonor Fini ne ressemble vraiment à personne. Son œuvre continue d’être exposée à la Galerie Minsky de Paris, et son influence de perdurer à travers les arts. La collection printemps-été 2018 de Dior lui rendait hommage avec des motifs oniriques et de loups de carnaval.

Sources :

  1. Texte inédit de l’écrivaine publié dans Xavière Gauthier, Leonor Fini, Le Musée de Poche, 1973, rééd. 1979, p. 72-73.
  2. Lettre de Leonor Fini à André Pieyre de Mandiargues de juin 1935, dans L’Ombre portée, Correspondances 1932- 1945, Gallimard, Le Promeneur, 2010, p. 58

Entretien réalisé par Laurence Aubron.