Ce que l’Histoire a moins retenu c’est la place inédite qu’ont occupé les femmes au sein du mouvement surréaliste. Pourtant, elles sont des centaines : peintres, sculptrices, poètes à s’être taillé une place loin du rôle de la muse. Retrouvez chaque semaine Zoé Neboit avec sa chronique Surréalisantes sur euradio pour découvrir le portrait de l'une d’entre-elles.
Cette semaine vous avez choisi de nous parler non pas d’une artiste plasticienne, mais d’une écrivaine : Lise Deharme
Écrivaine, mais pas que ! Difficile de résumer en un seul mot celle qui fut une personnalité et artiste aussi centrale que par la suite oubliée du mouvement. Lise Anne-Marie Hirtz naît le 5 mai 1898 dans le 8e arrondissement de Paris. Malgré sa famille très bourgeoise, la jeune Lise fréquente très tôt les milieux artistiques avant-gardistes de la capitale, traîne dans des puces et lit des livres érotique. Un soir d’octobre 1924, alors qu’elle est au théâtre avec son ami Philippe Soupault, elle fait une rencontre déterminante
À tout hasard, avec André Breton ?
Oui et cette scène fondatrice est racontée dans le roman autobiographique de l’écrivain Nadja. Vous savez, les surréalistes, et particulièrement leur leader, aimaient beaucoup percevoir des signes dans les événements qui leurs arrivaient. La rencontre avec Lise en fait partie. Un coup de cœur à sens unique, mais qui se transformera en amitié profonde et durable.
Suite à cette rencontre, Breton lui propose de passer à la toute jeune Centrale, aussi appelée le Bureau de recherches surréalistes, leur lieu de ralliement, 15 rue de Grenelle. Ce jour-là, elle portait des gants bleus ciels, accessoires extravagants et étonnants à l’époque. Les jeunes surréalistes lui ont alors demandé si elle pouvait leur en laisser un pour le mettre sur le mur et en faire « le symbole de la révolution surréaliste ».
Et pourtant, Lise Deharme a toujours refusé d’être une simple muse
Oui et je crois qu’elle n’aurait pas aimé ce mot. Certes elle a été pour plusieurs artistes du mouvement une source d’inspiration et de fascination, à cause de ce caractère très marqué qu’elle avait, de ce décalage entre ses bonnes manières bourgeoises et son comportement provocateur. Mais sa place dans le mouvement a plutôt été celle d’une protectrice et patronne.
Elle organisait des rencontres et expositions chez elle, finançait des artistes. Elle a été la mécène de Giacometti et Man Ray. On l’appelait « la dame de pique » à cause de ses avis tranchés. Véritable personnage romanesque, elle divorce de son premier mari en 1928, Pierre Meyer, après 7 ans de mariage. Artiste de cabaret, héritier et homosexuel, il se suicide quelques années après. Elle épouse alors Jean Deharme, son vrai grand amour, mais ce dernier décèdera lui aussi après seulement 6 ans de mariage.
Et au milieu de cette vie personnelle tragique, elle fonde la revue littéraire surréaliste Le Phare de Neuilly en 1933
Et à côté, elle se met elle-même à écrire de manière prolifique et ne s’arrêtera qu’à sa mort. Aussi bien dans des journaux : Combat de Camus et Ce soir d’Aragon. Mais aussi plusieurs recueils de poèmes et une bonne vingtaine de romans. Influencée à la fois par son goût pour la lecture d’anciens contes de fée et par l’exploration des thèmes liés à la sexualité et à l’inconscient, son œuvre littéraire est toujours à la frontière du merveilleux et de l’inquiétante étrangeté.
À l’image de sa place socialement centrale dans le mouvement, elle a mis à l’honneur les projets collaboratifs, notamment avec d’autres femmes dont j’ai hâte de vous parler. Avec Claude Cahun en 1937 dans Le Cœur de Pic, un recueil de poèmes pour enfants illustré. Et avec Leonor Fini, toujours à l’illustration, en 1955 dans Le Poids d’un oiseau et pour Oh ! Violette ou La Politesse des végétaux. Ce dernier roman, érotique et très provocateur a quand même été interdit à la vente à sa sortie en 1969.
Longtemps oubliée après sa mort en 1980, Lise Deharme sort aujourd’hui peu à peu de l’ombre.
Et j’en veux pour preuve une nouvelle de toute fraîcheur. Un jeune auteur, Nicolas Perge vient de sortir pour cette rentrée littéraire un essai biographique : Lise Deharme, cygne noir, aux éditions Jean-Claude Lattès. Je ne l’ai pas encore lu, mais ça a l’air très bien. Et c’est le tout premier texte dans l’histoire qui est entièrement consacré à la vie de Lise Deharme.
Mais peut-on véritablement saisir le mystère de la femme aux gants bleus ? Elle écrivit dans un de ses romans en 1964 : « Lorsque nous nous quitterons, vous pourrez dire que vous ne m'avez jamais rencontrée. »
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.