Surréalisantes

Surréalisantes #7 - Claude Cahun

©Claude_Cahun, Self-Portrait, from Bifur, no 5. Surréalisantes #7 - Claude Cahun
©Claude_Cahun, Self-Portrait, from Bifur, no 5.

Retrouvez chaque semaine Zoé Neboit avec sa chronique Surréalisantes sur euradio pour découvrir le portrait de peintres, sculptrices, poètes à s’être taillée une place loin du rôle de la muse.

Nos auditeurs connaissent peut-être l’artiste dont vous allez nous parler aujourd’hui

Oui car ma chronique est dédiée à Claude Cahun, une artiste qui a connu ces dernières années une large vague de reconnaissance post-mortem. Mais pas de panique si ce nom ne vous dit rien, je vais tenter en 3 minutes de dresser le portrait de ce personnage pour le moins extraordinaire. Claude Cahun, de son nom de naissance Lucy Schwob, naît le 25 octobre 1894 à Nantes. Dès ses premières publications dans le journal Le Mercure de France à 20 ans, Claude Cahun adopte ce pseudonyme masculin. C’est aussi à cette époque que l’écrivain commence à traverser une réflexion sur son genre « Masculin ? féminin ? mais ça dépend des cas. Neutre est le seul genre qui me convienne toujours » écrira-t-il.

Peut-on dire que Claude Cahun était en quelque sorte une personne non-binaire ?

C’est ce que plusieurs universitaires actuels suggèrent, bien que le terme de non-binarité n’existait évidemment pas à l’époque. Claude Cahun s’identifiait à « L’Androgyne », une figure qui évolue dans ses écrits comme à l’image. Son œuvre est aussi celle d’autoportraits aux milles costumes, mais toujours avec ce visage caractéristique : le crâne rasé ou les cheveux très courts et le regard troublant qui interroge le spectateur. Derrière la caméra, il y a Marcel Moore, alias Suzanne Malherbe, graveuse, peintre et collagiste, l’amour de sa vie. Inséparables depuis l’enfance, c’est ensemble qu’elles s’installent à Paris en 1918. Claude a 24 ans.

Et c’est à la capitale que l’artiste s’affirme réellement

Côté création, c’est le champ des possibles. Écriture, théâtre, photographie, création de costumes, Claude Cahun devient un artiste transdisciplinaire où toutes les métamorphoses de l’identité sont possibles : c’est ça le fil conducteur de son œuvre, le travestissement et les masques. Elle publie en 1930, Aveux non Avenus, une œuvre phare qui témoigne de ce patchwork des genres et de l’identité : un livre à mi-chemin entre l’autobiographie, la prose poétique et le manifeste, illustré par des photos et collages de Marcel Moore. Côté politique, elle fréquente les bars gays et lesbiens, et rejoint en 1932 avec sa compagne l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires. C’est d’ailleurs par son engagement politique que Claude fait la rencontre des surréalistes.

Tout l’anticonformisme de sa vie et de son œuvre ont dû leur plaire

C’est que parmi toutes les figures qui ont traversé le groupe, nulle ne ressemble à Claude Cahun. André Breton lui écrira dans une lettre à cette époque : « Il est assez probable que vous disposiez d’un pouvoir magique très étendu. Vous savez très bien que je pense que vous êtes un des esprits les plus curieux de ce temps. » Même si elle fascine, Claude ne pourrait jamais être une muse passive. Non, en mettant l’intime au cœur de son œuvre, elle devient sa propre muse. Elle aimait aussi s’associer pour créer à plusieurs, notamment avec des femmes. En 1937, elle collabore avec Lise Deharme, justement dont j’ai parlé dans l’une de mes dernières chroniques, pour illustrer son recueil de poèmes Le Cœur de Pic.

Et puis la guerre éclate…

Claude Cahun et Marcel Moore trouvent refuge sur Jersey où elles ont acheté une ferme. Mais en 1940 l’île est envahie par les Allemands. C’est alors qu’elles mettent en place une mascarade digne d’un film. Elles fabriquent et diffusent à la pelle des faux tracts en allemand et sèment la zizanie dans le régiment. Elles risquent très gros, surtout Claude qui est juive. Mais le plus fou c’est que les agents de la Wehrmart mettent quatre ans pour remonter jusqu’à elles sur une île de 120km2. Elles sont condamnées à la peine de mort mais finalement libérées de justesse à la signature de l’armistice. Ces années de clandestinité à haut risque ont dégradé la santé de Claude. Elles va prolonger son œuvre photographique entre Jersey et Paris avant de s’éteindre en 1953 à 59 ans. Longtemps oubliée, elle est aujourd’hui considérée comme une artiste queer, très en avance sur son temps.