Retrouvez chaque semaine Zoé Neboit avec sa chronique Surréalisantes sur euradio pour découvrir le portrait d'une artiste méconnue.
Bonjour Zoé !
Bonjour Laurence ! Saviez-vous que l’un des foyers les plus prolifiques du surréalisme en Europe a été la Belgique ?
Non, je l’ignorais totalement !
Le surréalisme belge a existé dans deux groupes principaux : à Hainaut en Wallonie, et à Bruxelles autour de René Magritte notamment. Contrairement à d’autres en Europe ou aux États-Unis, les Belges étaient très indépendants du groupe de Paris et d’André Breton, qui avait des tendances un peu autoritaires… Par contre, et sur ce point ils n’étaient pas du tout différents des autres, les groupes surréalistes belges étaient très masculins.
Mais je crois que vous n’êtes pas là pour nous parler des hommes du surréalisme belge ?
Évidemment que non Laurence, vous l’avez deviné, j’aimerais vous parler d’une femme ! Une écrivaine, qui a été absolument centrale dans le groupe Bruxellois : Irène Hamoir. Irène nait en banlieue de la capitale belge, en 1908. À 18 ans, elle s’engage corps et âme chez les jeunes gardes socialistes. Comme elle le dit dans une interview à la télévision belge dans les années 1980 : « à l’époque, c’était autre chose que ce que c’est devenu, c’était encore la bagarre. » À côté de la politique, Irène a été plusieurs années fonctionnaire à la Cour de Justice Internationale à La Haye. Comme elle a le vif désir d’écrire sur le monde qui l’entoure, elle se met à suivre un cours du soir pour journaliste. C’est là qu’elle rencontre le peintre Belge Marc Eemans, et grâce à lui, les surréalistes de Bruxelles.
J’ai l’impression qu’elle n’a pas vraiment le parcours typique des jeunes femmes artistes surréalistes
Non effectivement. Contrairement à d’autres issues de milieux bourgeois, Irène ne peut pas se permettre de vivre une vie faite seulement de pratique artistique et de passions amoureuses. Ce qui ne l’empêche pas de vivre avec intensité. Déjà, l’amour surréaliste, elle l’a connu et jusqu’à la fin de sa vie. En 1928, à 22 ans, elle rencontre l’écrivain Louis Scrutenaire, qui fricote avec les surréalistes depuis quelques mois. Ça ne rate pas, ils se marient deux ans après et resteront ensemble jusqu’à la mort du poète en 1987. Le duo « Scrut » et « Irine », comme ils s’appelaient, devient le couple ciment du groupe bruxellois. D’ailleurs, en Belgique Irène Hamoir est avant tout connue comme la moitié du très célébré Scrutenaire.
Et pourtant, Irène aussi écrit !
Et pas qu’un peu ! Elle compte à son actif un roman, six contes, un recueil de poésie, un scénario de cinéma expérimental, énormément d’articles journalistiques et de participations aux publications collectives des surréalistes. Mais c’est après la Seconde Guerre mondiale que sa reconnaissance s’installe. Irène a alors plus de quarante ans. Là aussi, son parcours de femme artiste est vraiment original. Boulevard Jacqmain, un roman à clef sur son aventure surréaliste et La Cuve infernale, recueil de contes autofictionnels sur son enfance dans une famille d’équilibristes à vélo, la confirment comme romancière. En 1976, la publication de Corne de brume, recueil de textes poétiques la confirme comme poète.
Mais j’ai entendu dire que son héritage était sujet à controverses…
À la mort de Louis Scrutenaire, quand Irène organise le legs des œuvres de son défunt mari, un proche du couple, Marcel Mariën publie un tract cinglant avec cette phrase : « Encore une veuve qui n’est pas très surréaliste. » La rumeur infuse et quelques années après, en 1997, alors qu’Irène Hamoir est enterrée depuis 3 ans, le catalogue d’une exposition dédiée aux surréalistes belges affirme que les deux premiers livres d’Irène seraient en réalité l’œuvre de son mari : « Scrut a écrit, Irène a signé » affirme-t-il. Cette version a perdurée pendant deux décennies avant que, très récemment, certaines voix alternatives s’élèvent, dont celle d’une jeune chercheuse belge Elisa Pirotte. Elle montre que cette théorie ne se base en vérité sur aucune preuve tangible, mais sur des interprétations très libres de lettres où le mari d’Irène, loin de lui écrire ses pages, relit et corrige ses manuscrits. Est-ce à cause de cette erreur que sa reconnaissance a tardé ? Espérons en tout cas, que la postérité réparera cette méprise qu’on peut soupçonner, juste un petit peu, de relents sexistes.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.