
Suite à la viste de l’IMCO (Commission du Marché intérieur Protection des Consommateurs) à Washington, Quentin Dickinson, correspondant permanent de euradio à Bruxelles, a pu échanger sur l’avenir des relations entre l’Europe et les États-Unis avec Sandro Gozi, député européen du groupe Renew Europe.
Comment s'est passée votre mission collective à Washington ? Qui avez-vous vu ?
Notre mission s’est bien passée, elle a été très utile. Elle nous a permis de clarifier de nombreux points entre nous et la nouvelle administration des États-Unis. Nous avons pu rencontrer la conseillère de Trump à la Maison-Blanche sur l’intelligence artificielle ; le Congrès, avec sa nouvelle majorité républicaine ; et les principales entreprises américaines de Big Tech représentées à Washington par l’Institut de Technologie américain et la Chambre de Commerce des États-Unis.
Nous avons principalement discuté de sujets numériques liés à l’intelligence artificielle, mais nous avons également pu faire un point un peu plus général sur l’état actuel des relations transatlantiques.
Avez-vous eu l’impression qu’il y avait une tension vis-à-vis de l’Union européenne dans la lignée des déclarations officielles du Président et du Vice-Président ?
Plus qu’une impression ! Lorsque nous étions à Washington, le Président Donald Trump a déclaré « The EU was born to screw the US », que l’on pourrait traduire par « L’UE est née pour tourmenter les États-Unis ». Ce qui es assez incompréhensible car Washington semble être obsédé par la Chine, et l’on se demande alors pourquoi l’Administration Trump provoque et humilie ses alliés européens. On a pu le voir dans la rencontre avec Zelensky, qui était selon moi l’un des points les plus bas dans l’histoire de la diplomatie des États-Unis.
Et peut-être même du monde post-1945.
J’ai personnellement suivi toute la campagne de Donald Trump. Je suis très proche des démocrates américains et je viens régulièrement aux États-Unis. J’étais à la convention de Chicago et j’avais déjà pu observer une dynamique peu favorable. Mais alors qu’en 2016, la victoire de Donald Trump aurait pu paraître comme un accident de l’histoire, maintenant celle-ci recommence et elle ne nous est pas favorable.
En fait, cela dépend de comment nous agissons et réagissons à cette nouvelle époque. Donald Trump veut se baser sur des rapports de force, sur l’humiliation de ses alliés et sur la recherche de solutions d’intérêt avec des concurrents ou ennemis des États-Unis, à commencer par Poutine, mais aussi en passant par la Chine.
Est-ce que vous estimez qu’aujourd'hui c'est à l'Europe de prendre le relais de défenseur des valeurs occidentales ?
J'en suis convaincu, mais les Européens doivent prendre acte et changer beaucoup de choses dans l'Union européenne.
J’ai appris qu’Orban a demandé à Costa de ne pas adopter des positions au Sommet car ceci rendrait évidentes les divisons au sein de l’Europe. Et j'entends beaucoup de gens qui disent que la gouvernance, les vétos, les institutions ne sont pas les problèmes aujourd'hui. Ils ont tort. Ils se font des illusions.
Il est clair que si l’Union européenne veut agir, elle doit se donner une force militaire et des ressources économiques pour agir. C’est tout à fait possible mais il faut pour cela réformer. Nous ne pouvons pas réagir en étant toujours exposés au veto et au chantage.
Donc, il y a trois choses que les Européens doivent faire urgemment pour exister :
- Se doter d'une puissance militaire ;
- Se doter de nouvelles ressources pour les grands défis de notre temps que sont la sécurité, l’innovation, l’intelligence artificielle et en général, la croissance ;
- Se réformer.
L’Union européenne est capable de construire un marché unique, une monnaie unique, et c'est de cette Union là aujourd'hui dont nous avons besoin.
Alors du point de vue militaire, comment est-ce que vous voyez les choses ? Est-ce que vous vous estimez que cette nouvelle force de défense, de sécurité collective européenne est peut-être plus utile, puisque cela permettrait d'écarter Orbán, Fico et Madame Meloni éventuellement, et d’incorporer dans ce système les Britanniques, les Norvégiens, et les Islandais ?
Je pense qu’il faut être pragmatique et commencer à travailler en groupe de pays. À l'intérieur de l'Union européenne, la France, l'Allemagne et la Pologne peuvent jouer des rôles centraux.
Il faut être ouvert à tous ceux qui veulent et peuvent participer à l'intérieur de l'Union européenne, sur une base purement volontaire, sans obliger ceux qui ne veulent pas aller dans cette direction, mais sans accepter cependant que ceux qui ne veulent pas puissent bloquer, et évidemment ouvrir aux partenaires européens qui ne sont pas encore de l'Union européenne, à commencer bien évidemment par les Britanniques.
La réunion de l'Assemblée parlementaire entre le Parlement européen et le Parlement britannique qui aura lieu en mars devra donner un signal très fort pour aller dans ces directions. Il y aura également un Sommet entre le Royaume-Uni et l’Union européenne en mai, dans lequel, je l’espère, la sécurité sera au centre du débat.
Nous allons donc sans doute assister à un partenariat entre les pays de l'Union européenne qui veulent accélérer et construire cette Europe de la défense, à commencer par les ressources et par la coordination militaire. Il est tout-à-fait possible que les Britanniques rejoignent ce partenariat, il me semble que les réunions qui ont lieu vont dans la bonne direction. Il faut maintenant arriver à des résultats concrets.
Êtes-vous désespéré ou passionné ?
Je suis inquiet, mais en tant qu'élu, il faut être déterminé à agir et à demander d'agir encore plus. Nous sommes à un tournant de l'histoire du monde et des relations internationales depuis 1945, comme vous le disiez très justement. Et ce tournant doit pousser les Européens à faire les actions nécessaires pour devenir maîtres de notre destin commun.
Nous avons vu cette semaine ce qui s’est passé à la Maison-Blanche, entre Trump, Vance et Zelensky. C'était une attitude mafieuse, dans laquelle on force le chef d'État d'un peuple agressé à se plier. C'est cette logique-là qui est de retour, et contre laquelle nous nous battre en tant qu’Européens.
Vous parliez tout à l'heure de la position de Trump vis-à-vis de la Chine. Qu'est-ce que vous pensez que nous, européens, devrions faire dans nos relations avec la Chine ? Car c'est aussi un élément de complication supplémentaire après les sorties de Monsieur Trump.
Je me méfie de la Chine et je ne suis pas d'accord avec les leaders. J’ai entendu que nous devrions commencer à ouvrir un dialogue un peu plus intense avec la Chine, mais je ne crois pas que ceci soit la solution. Évidemment, nous ne devons pas ouvrir de nouveaux conflits, mais dans ce nouveau monde que les Chinois définissent comme multipolaire et dans lequel seules la force et l'influence comptent, nous devrions pouvoir exister à travers nous-mêmes en Europe.
Je trouve donc superficiel et un peu rapide les discours qui disent que puisque Trump a cette attitude, il faudrait travailler avec la Chine. Les choses sont bien plus compliquées, et je pense que nous devons trouver notre autonomie et notre puissance pour défendre nos intérêts et nos valeurs, dans un monde qui est plus compliqué et désordonné que celui dans lequel l'Union européenne a été conçue.
Une interview réalisée par Quentin Dickinson.