L'éco de Marc Tempelman

L'affaire Archegos - L'éco de Marc Tempelman

L'affaire Archegos - L'éco de Marc Tempelman

Cette semaine, avec Marc Tempelman nous parlons d’un trader indépendant au passé sulfureux qui – à travers son véhicule Archegos - a fait vaciller plusieurs banques en quelques jours.

Oui, un seul homme, un certain Bill Hwang a fait perdre des milliards a plusieurs banques, en prenant des risques gigantesques avec de l’argent emprunté à, non pas à une, mais à des dizaines de banques.

Il est peut-être utile de revenir sur le passé de ce Hwang pour mieux comprendre comment nous en sommes arrivés là ?

Tout commence en 2012. Cette année-là, le gérant de fonds Bill Hwang plaide coupable à des accusations de délits d’initiés. Il doit payer une amende de 44 millions de dollars, et se voit interdit des bourses Américaines et Hongkongaises. Sans surprise, il ferme son hedge fund Tiger Asia Management car avec cette condamnation, il est impossible de continuer à faire du trading, faute de contreparties acceptant d’échanger avec lui.

Et pourtant 12 mois plus tard, Hwang revient en force, cette fois-ci aux commandes d’un family office très discret appelé Archegos Capital Management.

Un family office ? C’est bien une entité créée spécifiquement pour placer l’épargne d’une ou plusieurs familles fortunées ?

Exactement. Mais on parle bien de familles très riches. Pour donner un chiffre, en 2020 un family office gérait en moyenne 1,6 milliard de dollars. Et dans le cas d’Archegos, il s’agit du capital de la famille Hwang. Cela a son importance. Comme, en théorie, les family office ne mettent à risque que le capital des familles propriétaires du véhicule, ils sont exemptés de nombreuses obligations de reporting. Alors que les sociétés de gestion classiques sont soumises à des règles très strictes, les family office ne sont tenus de divulguer que les données comptables qu’ils souhaitent publier. Et cette possibilité d’opérer en secret, Hwang l’a pleinement exploité.

Alors justement, comment ce Hwang a-t-il opéré pour produire autant de dégâts ?

En une phrase, il a abusé de l’effet de levier. Archegos a emprunté des milliards, non pas à une mais à une dizaine de banques afin de décupler les moyens à sa disposition. Archegos a misé entre 50 et 60 milliards, dont la vaste majorité était emprunté aux banques. Et avec ces montants colossaux, le family office a fait des investissements très concentrés, plaçant plusieurs milliards à la fois dans quelques titres seulement comme Shopify, Tencent Music et ViacomCBS. Tant que ces paris sont gagnants, tout va bien, mais il suffit d’un grain de sable pour faire tomber le château de cartes.

Je comprends que Hwang jouait gros, mais les banques ne sont pas couvertes contre ce risque ?

Sur le papier, si. Car pour lui prêter autant d’argent, les banques ont cru se protéger en prenant en sureté les actions dans lesquels Hwang avait investi. Ainsi, soit les investissements d’Archegos montent, et tout le monde récupère son argent. Soit les positions évoluent de façon défavorable, et dans le pire des cas – en théorie – la banque prêteuse vend les actions qu’elle a obtenu en garantie et retrouve ainsi ses billes. 

Sauf que quand l’action de ViacomCBS se met à baisser soudainement, ce n’est pas que le capital d’Archegos qui diminue, c’est aussi la valeur des garanties que les banques détiennent. Ces dernières, soucieuses de maintenir un niveau de garanties suffisant demandent donc d’en avoir plus. C’est ce qu’on appelle un appel de marge. 

Dans la semaine du 22 mars, elles sont plusieurs à exiger un renforcement des garanties à Hwang, suite à la baisse du titre ViacomCBS. Mais chez Archegos, les caisses sont vides, il ne peut pas répondre aux appels de marge. Et comme vous savez, dans le monde financier “ne pas rembourser 10 euros, c’est votre problème, ne pas rembourser 10 milliards d’euros, et c’est devenu le problème des banques” !

Pourquoi ? Les banques n’avaient qu’à vendre leurs sûretés, ces fameuses actions qu’elle détenaient en garantie.

Oui, vous avez raison en théorie. Sauf que si elles se mettent toutes à vendre les mêmes titres au même moment, les cours des sociétés concernées s’écrouleront, et les banques perdront très gros. 

Elles se retrouvent face au dilemme de prisonnier. Pour minimiser les pertes, deux options : 

  1. Soit, elles se coordonnent pour organiser une vente progressive des positions sans trop bousculer les cours de bourse, 
  2. Soit c’est chacun pour soi. Les premières à vendre s’en sortiront plutôt bien, mais leurs ventes massives provoqueraient une forte correction des cours, laissant aux suivantes des conditions de vente désastreuses. 

Nous avons envie de savoir la fin. Cette affaire Archegos s’est terminée comment ?

Pendant quelques jours, les banques cherchent une solution coordonnée dans le plus grand secret. Mais le vendredi 26 mars les banques américaines Goldman Sachs d’abord, et Morgan Stanley ensuite, changent de cap. Et disposent de leurs positions importantes en ViacomCBS par blocs de plusieurs milliards à la fois, dès l’ouverture. La banque japonaise Nomure et surtout la banque helvète Crédit Suisse se réveillent en dernier, et souffrent donc massivement.

Le lundi 29 mars les deux banques américaines annoncent que l’affaire Archegos n’aura pas d’impact matériel sur leurs comptes. Quelques jours plus tard le PDG de Crédit Suisse annonce une perte probable de 4,7 milliards, effaçant bien plus que les bénéfices de la banque pour l’année 2020. Il limoge 7 dirigeants, dont la responsable des risques, annule les bonus de l’année dernière, réduit les dividendes de 66% et stoppe net le programme de rachat d’actions annoncé.

Laurence Aubron - Marc Tempelman

Chaque semaine, nous accueillons Marc Tempelman, un des co-fondateurs de la FinTech Cashbee, qui aide les Européens à épargner plus et mieux. Nous discutons avec lui de finance. 

Toutes les éditos de Marc Tempelman sont à retrouver juste ici

Image par Gerd Altmann de Pixabay