Composer comme compositrices et compositeurs, ces musiques inspirées par l'Europe mais aussi ces compositions qui forment une culture européenne. À retrouver sur euradio le samedi. Par David Guérin-Marthe.
Certains compositeurs n’ont pas qu’une influence musicale sur les créatrices et créateurs qui les suivent. C’est parfois un véritable mythe que l’on crée autour d’une personnalité forte, comme c’est le cas avec Beethoven.
Et contribuer au mythe, c’est contribuer à la mémoire, en créant des lieux de pèlerinage. Pour Beethoven, on peut notamment citer sa maison natale, à Bonn, transformée en musée. Et ce sont parfois d’autres compositeurs qui participent à cette préservation. Dans la revue musicale italienne de 1924, la compositrice Ella Adaïewsky raconte justement son pèlerinage à Bonn. Elle décrit en détail la chambre où est né le maître, les partitions, instruments et objets exposés. Et elle lance un appel aux dons pour que le musée puisse acquérir de nouvelles pièces, et ainsi préserver l'œuvre de Beethoven.
Qui est cette Ella Adaïewsky ?
C'est un nom assez étrange : un prénom féminin et un nom masculin. Ella Adaïewsky, née Elisabeth von Schultz, est une compositrice d’origine allemande et estonienne née à Saint-Pétersbourg en 1846. Elle a commencé l’étude du piano avec sa mère et donne ses premiers concerts lorsqu'elle a 15 ans. Le succès est tel qu’elle part presque deux ans en tournée en Europe. À son retour en Russie, Elisabeth reçoit des cours de piano d’Anton Rubinstein et des cours de composition de Nikolaï Zaremba.
En 1870, on organise la création de compositions pour chœur. Mais le concert risque d’être annulé car son nom est celui d’une femme, allemande qui plus est. Son prénom Elisabeth devient d’abord une simple initiale, E., et elle crée un pseudonyme bien masculin et bien russe : Adaïewsky. A-D-A, ou la-ré-la, en référence aux notes jouées par les timbales dans l’opéra Rouslan et Ludmila de Glinka.
Elle compose ensuite deux opéras, Neprigojaïa puis Zarya svobody. Des répétitions ont lieu, on fabrique les décors, les costumes, mais ces deux opéras sont finalement annulés : elle est censurée car elle y défend l'abolition du servage en Russie. Elle quitte Saint-Pétersbourg pour Venise, avec sa sœur et ses neveux. Elle crée alors des liens forts avec les membres de la vie musicale vénitienne. Ella Adaïewsky, respectée comme musicologue, a alors une certaine influence sur les programmations. Elle permet aux Vénitiens, qui écoutent beaucoup Bellini et Verdi, de découvrir de nouveaux compositeurs.
A-t-elle pu continuer la composition malgré l'expérience difficile de l'annulation de ses opéras ?
Elle a assez peu composé. Cette censure était très certainement décourageante. En Italie, elle compose une série de 24 préludes pour soprano et piano. Les textes qu’elle met en musique sont des poèmes de l’un de ses neveux.
Je vous propose d’écouter aujourd’hui le n°2, Erster Schnee, Première neige. Si je vous propose ce beau petit prélude mélancolique plutôt qu’un extrait de l’un de ses opéras, c’est uniquement parce qu’il n’en existe aucun enregistrement. Ils n'ont toujours pas été créés.
Nous écoutons le Prélude n°2, interprété par Claudia Grimaz et Andrea Rucli.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron