Composer comme compositrices et compositeurs, ces musiques inspirées par l'Europe mais aussi ces compositions qui forment une culture européenne. À retrouver sur euradio le samedi. Par David Guérin-Marthe.
Nous évoquons aujourd'hui un aspect fondamental de la vie de Beethoven, sa surdité. Un handicap qui ne l'a pas empêché de créer.
Une surdité qui s'est installée progressivement. Les premiers signes apparaissent en 1796, il a alors 26 ans. À part à son ami médecin Wegeler, il n’en parle pas autour de lui. Beethoven écrit : « Je ne peux pas dire aux gens : je suis sourd. Si j’avais n’importe quel autre métier, ce serait encore possible ; mais dans le mien, c’est une situation terrible. Et avec cela, mes ennemis, qui ne sont pas en petit nombre, que diraient-ils ? »
C’est par le travail qu’il va essayer d’oublier sa situation. Autour de ses 30 ans, il se lance enfin dans la composition de symphonies, le genre qu’il a révolutionné et pour lequel il est particulièrement célébré encore aujourd’hui. Sa première symphonie est créée en 1800. On entend déjà le style du maître : des rythmes puissants, des dissonances. L'œuvre choque. On peut lire par exemple chez un critique français : « On ne fait que déchirer l’oreille bruyamment, sans jamais parler au cœur. »
Mais sa surdité a progressé rapidement. Comment a-t-il réagi ?
Très mal. En 1801, il est au fond du désespoir. À la surdité de plus en plus présente s'ajoutent des déceptions amoureuses. Il compose à cette époque la magnifique et très célèbre sonate pour piano n°14, dite Au Clair de Lune, titre qui n’est pas de Beethoven. Dans cette œuvre, on entend l’angoisse du compositeur : de la mélancolie dans le premier mouvement, mais surtout de la violence, peut-être même de la folie, dans le troisième mouvement.
Il passe l’été 1802 à la campagne, à Heiligenstadt, pour se reposer. Il termine de composer sa deuxième symphonie. Il écrit également un testament, adressé à ses frères. Beethoven évoque notamment des envies suicidaires passées, qui révèlent l’intensité de ses douleurs physiques mais aussi morales. Je vous en lis un extrait : « Mais quelle humiliation quand quelqu’un à côté de moi entendait le son d’une flûte au loin et que je n’entendais rien, ou quand quelqu’un entendait chanter un berger, et que je n’entendais rien non plus. De tels évènements me poussaient au seuil du désespoir, et il s’en fallait de peu que je ne mette fin moi-même à ma vie. C’est l’art, et lui seul, qui m’a retenu. [...] Patience - c’est bien cela, il faut que je la prenne maintenant pour guide, je l’ai fait. »
Après cette période de repos, il retrouve son énergie. Il va énormément composer pendant une dizaine d’années. Mais la résignation revient. Et vers 1818, il est totalement sourd.
Quelle œuvre écoutons-nous aujourd’hui ?
Je vous propose d’écouter la Sonate pour piano n°7, composée en 1798, c’est-à-dire à l’époque des premiers signes de ses problèmes d'audition. Le deuxième mouvement, un largo, est très sombre. On entend la détresse de Beethoven. On entend aussi le génie, avec des couleurs sublimes, parfois très modernes, avec quelques accords majeurs, comme une dernière note d’optimisme. Mais la fin de ce mouvement est de plus en plus faible, les dernières notes paraissent de plus en plus lointaines, jusqu’à ce qu’on n’entende plus que le silence.
Sonate pour piano n°7 en ré majeur, deuxième mouvement interprété par Daniel Barenboim.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron