Composer comme compositrices et compositeurs, ces musiques inspirées par l'Europe mais aussi ces compositions qui forment une culture européenne. À retrouver sur euradio le samedi. Par David Guérin-Marthe.
Ella Adaïewsky n’est pas seulement compositrice. Elle a également un rôle important dans le développement de l’ethnomusicologie.
Si le terme « ethnomusicologie » n’existait pas encore à l’époque d’Adaïewsky, elle est en effet l’une des premières à faire des recherches dans ce domaine. C’est son père qui lui transmet l’amour des musiques populaires. Une passion qui va la mener à publier de nombreux articles, sur la musique grecque et celtique notamment. Elle y défend l’importance de la diversité culturelle et linguistique.
C’est dans le nord de l’Italie qu’elle réalise l’une de ses études les plus complètes. Elle part en voyage dans les Alpes, dans le Val Resia, à la rencontre du patrimoine musical de ses habitants. Dans ce qui ressemble à première vue à un carnet de voyage, elle décrit de manière très objective et très détaillée ce qu’elle entend. Ce travail scientifique, rédigé dans un très beau français d’ailleurs, est méthodique et révèle la grande finesse de son jugement. Ella Adaïewsky anticipe ainsi de plusieurs décennies ceux que l’on considère comme les fondateurs de l’ethnomusicologie.
Ses recherches sont très chronophages. A-t-elle le temps de composer ?
Pas tellement malheureusement. À part ses deux opéras et ses préludes, son catalogue ne compte que quelques pièces vocales, une très belle sonate pour clarinette et piano, et quelques pièces pour piano seul. Manque de temps, mais aussi un certain nombre d’expériences frustrantes.
En 1911, Ella part vivre en Allemagne, rejoindre des amies rencontrées à Venise. Pendant la Première Guerre Mondiale, elle doit reprendre son nom de naissance, Ella von Schultz, car son pseudonyme russe la rend suspecte. Malgré les obstacles, elle ne cessera jamais de travailler le piano, et sa curiosité pour toutes les musiques demeure intacte. Elle ne sortait jamais en promenade sans son diapason et son carnet pour noter le chant des oiseaux.
Ella Adaïewsky s’éteint à l’âge de 80 ans. Elle est inhumée à Bonn, dans le même cimetière que Clara et Robert Schumann et Maria-Magdalena Beethoven, la mère du compositeur qu’elle adorait.
Quelle œuvre d’Ella Adaïewsky écoutons-nous aujourd’hui ?
Je vous propose d’écouter son Prélude n°6, Paix sur le Mont Athos. Des 24 préludes, c’est mon préféré. Il est d’une très grande finesse. La ligne mélodique semble très simple : l’ensemble du poème est en effet chanté sur seulement trois notes : fa dièse, do dièse et sol. Ce procédé peut rappeler des compositions contemporaines. Je pense notamment au compositeur estonien Arvo Pärt. Sa pièce Mon cœur est dans les Highlands, composée en 2000, est également chantée sur trois notes uniquement, créant ce même effet dramatique.
Concernant la pièce d’Ella Adaïewsky, c’est le piano qui apporte l’harmonie. Le prélude est d’abord mineur, assez sombre. Puis la modulation majeure finale éclaire très subtilement les derniers mots du poème : « c’est si calme ».
Prélude n°6, Paix sur le Mont Athos, interprété par Claudia Grimaz et Andrea Rucli.