Lors de chaque session plénière au Parlement européen à Strasbourg, Romain L’Hostis suit les débats du Parlement européen qui réunit les 707 députés européens des 27 pays de l’Union. Le 19 avril, il reçoit la députée européenne française Marie-Pierre Vedrenne du groupe Renew Europe, sur le besoin affiché par les eurodéputés de repenser la stratégie européenne vis-à-vis de la Chine.
Marie-Pierre Védrenne, vous avez participé au débat portant sur la politique que l’UE devrait adopter vis à vis de la Chine. [...] Ce débat était intitulé : La nécessité d'une stratégie cohérente pour les relations UE-Chine. Donc ici, l’objectif c’était quoi, de montrer que justement aujourd’hui il n’y a pas de stratégie européenne vis-à-vis de la Chine ?
L’objectif c’était surtout de réaffirmer la position du Parlement européen, et puis pour nous, membres de la délégation française de la majorité présidentielle, c’était aussi l’occasion de remettre en exergue tous nos travaux passés pour sortir de notre dépendance vis-à-vis de la Chine, et de remettre en débat le concept d’autonomie stratégique, ce qu’elle veut dire et comment elle doit s’incarner. Vous avez raison de souligner le fait que la Chine est effectivement un partenaire commercial, c’est comme cela qu’on qualifie la Chine : de “partenaire, de concurrent économique, et de rival systémique”.
C’était la formule donnée en 2019 par l’Union européenne à l’égard de la Chine.
Tout à fait ! C’est bien qu’il y ait cette formule, et il y a, c’est vrai, de fait une stratégie. Maintenant on voit que le contexte international a changé depuis 2019, que le comportement de la Chine est de plus en plus agressif. A la fois vis-à-vis de Taïwan, mais aussi vis-à-vis de l’UE. Et puis on voit qu’on a des enjeux spécifiques qui arrivent sur notre agenda : on a besoin des matières premières critiques pour pouvoir atteindre notre objectif de neutralité carbone et de numérisation de nos sociétés. Et on sait bien que ces matières premières, en tout cas sur le volet transformation, la Chine joue un rôle déterminant. Et on ne veut pas retomber dans une situation de dépendance. Il y a aussi le contexte de la guerre en Ukraine, et le soutien - sans dire soutien, mais qui est quand même tangent - de la Chine vis-à-vis de la Russie. Donc c’était important pour les parlementaires que nous sommes, d’avoir ce débat pour redire justement à la Commission européenne, à la fois au Haut Représentant Borrell qui était présent, et à la présidente Ursula von der Leyen, que nous attendions une stratégie claire pour renforcer l’unité européenne. Car ce qu’on voit aussi, c’est que la Chine cherche à diviser l’Union européenne, et nous ce qu’on veut c’est une stratégie qui soit réellement européenne, qui soit réellement crédible et qui soit réellement efficace.
Vous avez parlé de l’intervention de Josep Borrell, chef de la diplomatie européenne. Il a dit que les Européens “ne sont pas tous sur la même longueur d’onde” en ce qui concerne la Chine. Qu’est-ce qui divise les Européens aujourd’hui en 2023 vis-à-vis de la Chine ?
[...] D’un Etat-membre à un autre, la relation à la Chine n’est pas la même. Certains Etats sont dans une situation de dépendance qui est plus forte que les autres. Par exemple, l’Allemagne, qui était déjà dans une situation de dépendance vis-à-vis de la Russie pour le gaz, est aussi dépendante vis-à-vis des exportations automobiles vis-à-vis de la Chine, et d’importations sur d’autres domaines. On a aussi des infrastructures stratégiques comme des ports, ou des structures aéroportuaires qui sont aussi dans les mains en quelque sorte des Chinois sur nos propres territoires. La crainte de certains Etats-membres, c’est justement la peur [...] des contre-mesures quand on prend une décision. De la coercition qui serait employée, des mesures de riposte qui sont fait par la Chine. Quand on cherche à construire notre autonomie, notre souveraineté, certains du fait de cette dépendance, craignent des mesures de représaille de la Chine. C’est pour ça que nous, notre combat c’est de renforcer justement notre marché intérieur, notre unité européenne, notre soutien les uns aux autres, pour pouvoir faire face à cette coercition, à ce poids que cherche à mettre la Chine à certains Etats-membres et à l’entièreté de l’Union européenne. Moi, cela fait 2 ans que je travaillais sur un instrument visant à lutter contre la coercition économique, si on prend l’exemple de la Lituanie qui a voulu renforcer ses relations avec Taïwan et sur les semi-conducteurs.
C’était en 2021.
Oui. Et la réaction chinoise a été de dire “puisque c’est comme ça, on va vous imposer des droits de douane, on va vous limiter l’accès à notre marché, on va chercher à vous faire changer de positionnement politique.” C’est ça la coercition économique, c’est au travers d’une décision d’un ordre économique, on cherche à vous faire changer votre position politique. Alors que vous êtes un Etat souverain. Et on avait pas d’instrument législatif, juridique, qui nous permettait de défendre nos positionnements politiques. Maintenant on y est. Donc tout l’enjeu, et c’est vrai que la présidente Ursula von der Leyen l’a rappelé : on a renforcé notre arsenal juridique d’un point de vue commercial ces dernières années, notamment sous l’influence de la présidence française, avec la réciprocité sur les marchés publics ; on a travaillé sur l’impact des subventions étrangères - notamment chinoises - sur notre marché intérieur. Donc on a cette boîte à outils, et c’est aussi ce qu’a rappelé l’entièreté des parlementaires dans cette intervention.
Marie-Pierre Vedrenne vous avez pris la parole lors de ce débat. L’un des points phare de votre intervention c’était justement d’alerter contre cette coercition économique dont nous venons de parler. Si maintenant, la priorité n°1 c’est d’empêcher les mesures de coercition économique pratiquées par la Chine, comment peut-on être partenaires commerciaux et victimes de coercition économique en même temps, si on ne peut plus se faire confiance ?
Vous avez raison de dire qu’il y a une question de confiance, mais au-delà de ça, le commerce international est basé sur des règles. Certes, notre Organisation mondiale du commerce, qui est le gendarme du commerce international essaye d’aller de l’avant avec notamment sa directrice générale, la directrice Ngozi, qui joue un rôle fondamental, mais il y a une responsabilité de chacun des Etats-membres pour jouer ce rôle de défense du multilatéralisme. Et on sait que la Chine est présente à l’OMC mais pour défendre ses propres intérêts, elle contourne les règles, elle ne joue pas le jeu d’une concurrence qui soit loyale. Au contraire, que ce soit par des subventions massives, ou par la coercition économique pratiquées par la Chine. Moi, je dis qu’il faut continuer pour l’Union européenne à accentuer son travail au sein de l’OMC pour rappeler à chaque partenaire, dont la Chine, qu’il y a des règles, qu’on les a défini ensembles, et qu’elles doivent être respectées par chacun. Pour pouvoir jouer ce rôle de respect des règles par chacun, il faut qu’on s’affirme. On doit être crédible à l’entièreté de chaque Etat-membre de l’UE, et vis-à-vis de nos partenaires, on doit s’affirmer comme une puissance. On est une puissance commerciale : on a des accords de commerce avec de nombreux Etats-membres, et de nombreux Etats tiers à l’Union européenne, c’est l’attractivité de notre marché intérieur qui joue un rôle déterminant, mais politiquement on reste toujours un peu au milieu du gué. Il faut donc sortir de ça, il faut continuer à construire ces attributs de la puissance, car nous le sommes. Mais il faut se comporter comme tel. Tout cet arsenal juridique dont je vous parlais, il y contribue, mais maintenant il y a cette posture politique d’affirmation. C’est pour cela qu’on a beaucoup débattu aussi de notre stratégie, est-ce que celle-ci doit être du “découplage” ou du “dérisquage”.
C’est-à-dire ?
Le découplage ça veut dire sortir de la relation commerciale avec la Chine. On le sait bien, on ne va pas effacer la Chine de la carte du monde. Et nos relations avec la Chine ne vont pas arriver à zéro, surtout pas du jour au lendemain. Notre enjeu c’est donc plutôt d’avoir une stratégie de “dérisquage” c’est-à-dire de limiter les risques liés à notre dépendance à la Chine. C’est là où la stratégie sur les matières premières critiques est absolument déterminante. [...]
Ursula von der Leyen, qui était présente lors de ce débat au Parlement européen, a fait référence à ce nouveau plan européen pour les matières premières critiques importées de la Chine. Un plan présenté en mars dernier. Qu’en pensez-vous Marie-Pierre Védrenne ?
Moi, je suis très contente de cette publication, et du rôle qu’a joué le commissaire Breton pour aller dans ce sens là. En plus j’ai eu la bonne nouvelle que je serai rapporteure pour mon groupe politique sur le texte sur les matières premières critiques en commission commerce international. Je m’étais déjà mobilisé sur le sujet pour pouvoir avoir cette présentation. Car on le voit bien, nous sommes dans une situation de dépendance vis-à-vis de pays qui disposent de ces matières premières critiques ou des terres rares. [...] Cette nouvelle stratégie qui a été présentée par la Commission européenne elle vise à travailler sur l’aspect européen, sur la relocalisation de l’extraction, de la structuration des filières, de la recyclabilité, et sur la diversification de nos partenaires. Il y a notamment pour ambition de créer un club des partenaires des matières premières critiques, avec lesquels nous voulons travailler. [...] Donc c’est une bonne chose, maintenant il faut que les parlementaires jouent leur rôle de co-législateur pour pouvoir l’amender et le rendre encore plus efficace.
De quelle échéance parle-t-on ici ? Combien de temps cela va-t-il prendre ?
C’est difficile à dire en terme de timing. En tout cas la prochaine réunion de chefs d’Etats européens aura à l’ordre du jour justement ce travail concret sur la stratégie sur la relation UE-Chine. [...] Là on parle surtout de la Chine, mais notre objectif c’est bien d’être autonome. Sur d’autres secteurs, c’est pareil, il faut que l’UE soit capable de prendre des décisions par elle-même, pour elle-même. Et c’est cela que les propos du président de la République française signifient, avec ce concept d’autonomie stratégique. [...] Cela passe par une politique industrielle qui soit plus forte.