Elisa Camia, consultante junior en affaires publiques, est spécialisée dans les relations entre l’UE et la Chine, notamment aux niveaux économique et géopolitique. Elle revient chaque mois sur euradio sur les relations euro-chinoises.
Below you will find the English version of this article.
Bonjour Elisa, aujourd’hui vous allez nous parler de l’expansion maritime de la Chine et de ses objectifs.
Bonjour Laurence, oui, La Chine renforce son contrôle sur les ports à travers ses grands armateurs, Cosco Shipping Ports et China Communications Construction Company (CCCC), jouant ainsi un rôle stratégique majeur dans le commerce maritime mondial.
Cette expansion s’inscrit dans un projet d’envergure : le plan 2049, qui coïncide avec le centenaire de la République populaire de Chine. Son objectif est ambitieux : faire de la Chine la première puissance mondiale sur les plans militaire, économique, technologique et idéologique.
Cette expansion répond donc à plusieurs objectifs.
Oui, Pour Pékin, défendre ses intérêts économiques – notamment la sécurisation de ses approvisionnements – et projeter sa puissance sont deux aspects indissociables d’une même stratégie.
Cette approche s’étend à d’autres secteurs stratégiques : l’essor agressif de Huawei dans les télécoms ou encore l’expansion de State Grid dans les réseaux électriques en sont des exemples frappants. En Chine, pragmatisme économique et ambition hégémonique vont de pair.
Comment la Chine parvient-elle à prendre le contrôle de ces ports ?
À travers plusieurs investissements directes.
En 2016, la Chine inquiète l’Europe en rachetant 51 % des terminaux à conteneurs du port du Pirée, une part portée à 67 % en 2021 par Cosco Shipping Ports. Huit ans plus tard, en novembre 2024, plus personne ne s’étonne de voir Xi Jinping inaugurer le port de Chancay au Pérou. Détenu à 60 % par Cosco et représentant un investissement de plus de 3 milliards d’euros, ce projet est présenté comme le « Singapour d’Amérique latine », un hub clé pour le commerce entre la Chine et l’Amérique du Sud.
Mais l’influence portuaire chinoise s’étend bien au-delà. À travers China Merchants Port Holdings et Hutchison Port Holdings, Pékin acquiert des parts stratégiques (souvent entre 20 % et 49 %) dans de nombreux terminaux à conteneurs, évitant ainsi une domination trop visible.
Ces investissements s’inscrivent dans la stratégie des « nouvelles routes de la soie », lancée par Xi Jinping en 2013.
Puisque ces investissements s’inscrivent dans la Nouvelle Route de la Soie, abordée dans le dernier épisode, quels sont les ports européens stratégiques pour la Chine ? Et en Italie, certains ports sont-ils sous gestion ou semi-gestion chinoise ?
Les entreprises chinoises ont étendu leur influence portuaire à travers le monde, y compris en Europe, avec des investissements dans le Pirée (Grèce), Vado Ligure (Italie), Le Havre et Marseille (France), Anvers (Belgique) ou encore Rotterdam (Pays-Bas).
En 2019, Pékin marque un coup politique en intégrant Trieste (Italie) à la Belt and Road Initiative (BRI). Mais ce succès est de courte durée : le gouvernement Giorgia Meloni retire le port de l’initiative, illustrant les tensions croissantes entre la Chine et l’Occident sur les infrastructures stratégiques.
L’influence chinoise ne s’arrête pas aux ports. Ses investisseurs développent aussi des hinterlands stratégiques, construisant entrepôts, usines et centrales électriques. Ces infrastructures s’insèrent dans de vastes corridors économiques, comme l’axe reliant l’ouest de la Chine au port de Gwadar (Pakistan), un point clé de la BRI.
Quel rôle stratégique les ports peuvent-ils jouer sur le plan militaire ?
La présence portuaire chinoise vise d’abord à sécuriser ses ressortissants, mais joue aussi un rôle stratégique.
Comme l’explique relève Mathieu Duchâtel, directeur du programme Asie à l’Institut Montaigne :
« Cosco intègre des moyens maritimes civils aux opérations militaires, soutenant la marine chinoise et renforçant son influence sur les grandes routes commerciales »
En temps de crise, un port commercial peut devenir une base avancée. En temps de paix, ces infrastructures numérisées sont des cibles d’espionnage ou de sabotage, alimentant les inquiétudes occidentales.
En 2021, l’Europe réagit : Cosco tente d’acquérir 35 % du terminal Tollerort à Hambourg, un hub stratégique pour le commerce et la logistique militaire. Face à l’opposition de Bruxelles, des diplomates et des services de renseignement, Olaf Scholz doit limiter la participation chinoise à 24,99 %.
Cette dynamique illustre comment la Chine intègre le commerce à sa stratégie de défense, renforçant son influence maritime tout en consolidant ses alliances militaires, notamment avec la Russie. L’augmentation des exercices conjoints en Méditerranée souligne l’évolution des rapports de force et pourrait inciter d’autres puissances à repenser leur propre approche en matière de sécurité et de souveraineté économique.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.
--
English version :
Junior consultant in public affairs, Elisa Camia specializes in EU-China relations, particularly in the economic and geopolitical sectors. She provides a monthly update on Euradio about EU-China relations.
Hello Elisa, today you're going to talk about China's maritime expansion and its objectives.
Hello Laurence, yes, China is strengthening its control over ports through its major shipping companies, Cosco Shipping Ports and China Communications Construction Company (CCCC), thus playing a strategic role in global maritime trade.
This expansion is part of a large-scale project: the 2049 plan, which coincides with the centenary of the People's Republic of China. Its objective is ambitious: to make China the world's leading power in military, economic, technological, and ideological spheres.
So, this expansion serves several objectives.
Yes, for Beijing, defending its economic interests—particularly securing its supply chains—and projecting its power are two inseparable aspects of the same strategy.
This approach extends to other strategic sectors: the aggressive rise of Huawei in telecommunications and the expansion of State Grid in electrical networks are clear examples. In China, economic pragmatism and hegemonic ambition go hand in hand.
How does China manage to take control of these ports?
Through several direct investments.
In 2016, China raised concerns in Europe by acquiring 51% of the container terminals at the Port of Piraeus, a stake that was increased to 67% in 2021 by Cosco Shipping Ports. Eight years later, in November 2024, no one was surprised to see Xi Jinping inaugurate the Port of Chancay in Peru. Owned 60% by Cosco and representing an investment of more than 3 billion euros, this project is being presented as the "Singapore of Latin America," a key hub for trade between China and South America.
However, China's influence over ports goes much further. Through China Merchants Port Holdings and Hutchison Port Holdings, Beijing has secured strategic shares (often between 20% and 49%) in many container terminals, thereby maintaining a more discreet presence without overt dominance.
These investments are part of the "New Silk Roads" strategy launched by Xi Jinping in 2013.
Since these investments are part of the Belt and Road Initiative, discussed in the last episode, which European ports are strategic for China ? And in Italy, are some ports under full or partial Chinese management ?
Chinese companies have extended their port influence worldwide, including in Europe, with investments in Piraeus (Greece), Vado Ligure (Italy), Le Havre and Marseille (France), Antwerp (Belgium), and Rotterdam (Netherlands).
In 2019, Beijing scored a political win by integrating Trieste (Italy) into the Belt and Road Initiative (BRI). However, this success was short-lived: the Giorgia Meloni government withdrew the port from the initiative, highlighting the growing tensions between China and the West over strategic infrastructure.
Chinese influence does not stop at the ports. Its investors are also developing strategic hinterlands, building warehouses, factories, and power plants. These infrastructures are part of vast economic corridors, such as the route linking western China to the port of Gwadar (Pakistan), a key point in the BRI.
What strategic role can ports play in military terms ?
China's port presence primarily aims to secure its citizens, but it also serves a strategic role.
As Mathieu Duchâtel, Director of the Asia Program at the Montaigne Institute, explains:
"Cosco integrates civilian maritime resources into military operations, supporting the Chinese Navy and strengthening its influence over major trade routes."
In times of crisis, a commercial port can become a forward base. In peacetime, their digital infrastructures become targets for espionage or sabotage, fuelling Western concerns.
In 2021, Europe responded: Cosco attempted to acquire 35% of the Tollerort terminal in Hamburg, a strategic hub for trade and military logistics. In response to opposition from Brussels, diplomats, and intelligence services, Olaf Scholz had to limit Chinese participation to 24.99%.
This dynamic illustrates how China integrates trade into its defence strategy, strengthening its maritime influence while consolidating its military alliances, particularly with Russia. The increase in joint exercises in the Mediterranean highlights the shifting power dynamics and could prompt other powers to rethink their own approach to security and economic sovereignty.
An interview by Laurence Aubron.