Chine - Europe : entre tensions et perspectives

Les ports européens : un enjeu stratégique au cœur de l’expansion chinoise

Photo de Samuel Wölfl: - Pexels Les ports européens : un enjeu stratégique au cœur de l’expansion chinoise
Photo de Samuel Wölfl: - Pexels

Elisa Camia, consultante junior en affaires publiques, est spécialisée dans les relations entre l’UE et la Chine, notamment aux niveaux économique et géopolitique. Elle revient chaque mois sur euradio sur les relations euro-chinoises.

Bonjour Elisa, aujourd’hui vous allez nous parler de l’expansion maritime de la Chine et de ses objectifs.

Bonjour Laurence, oui, La Chine renforce son contrôle sur les ports à travers ses grands armateurs, Cosco Shipping Ports et China Communications Construction Company (CCCC), jouant ainsi un rôle stratégique majeur dans le commerce maritime mondial.

Cette expansion s’inscrit dans un projet d’envergure : le plan 2049, qui coïncide avec le centenaire de la République populaire de Chine. Son objectif est ambitieux : faire de la Chine la première puissance mondiale sur les plans militaire, économique, technologique et idéologique.

Cette expansion répond donc à plusieurs objectifs.

Oui, Pour Pékin, défendre ses intérêts économiques – notamment la sécurisation de ses approvisionnements – et projeter sa puissance sont deux aspects indissociables d’une même stratégie.

Cette approche s’étend à d’autres secteurs stratégiques : l’essor agressif de Huawei dans les télécoms ou encore l’expansion de State Grid dans les réseaux électriques en sont des exemples frappants. En Chine, pragmatisme économique et ambition hégémonique vont de pair.

Comment la Chine parvient-elle à prendre le contrôle de ces ports ?

À travers plusieurs investissements directes.

En 2016, la Chine inquiète l’Europe en rachetant 51 % des terminaux à conteneurs du port du Pirée, une part portée à 67 % en 2021 par Cosco Shipping Ports. Huit ans plus tard, en novembre 2024, plus personne ne s’étonne de voir Xi Jinping inaugurer le port de Chancay au Pérou. Détenu à 60 % par Cosco et représentant un investissement de plus de 3 milliards d’euros, ce projet est présenté comme le « Singapour d’Amérique latine », un hub clé pour le commerce entre la Chine et l’Amérique du Sud.

Mais l’influence portuaire chinoise s’étend bien au-delà. À travers China Merchants Port Holdings et Hutchison Port Holdings, Pékin acquiert des parts stratégiques (souvent entre 20 % et 49 %) dans de nombreux terminaux à conteneurs, évitant ainsi une domination trop visible.

Ces investissements s’inscrivent dans la stratégie des « nouvelles routes de la soie », lancée par Xi Jinping en 2013.

Puisque ces investissements s’inscrivent dans la Nouvelle Route de la Soie, abordée dans le dernier épisode, quels sont les ports européens stratégiques pour la Chine ? Et en Italie, certains ports sont-ils sous gestion ou semi-gestion chinoise ?

Les entreprises chinoises ont étendu leur influence portuaire à travers le monde, y compris en Europe, avec des investissements dans le Pirée (Grèce), Vado Ligure (Italie), Le Havre et Marseille (France), Anvers (Belgique) ou encore Rotterdam (Pays-Bas).

En 2019, Pékin marque un coup politique en intégrant Trieste (Italie) à la Belt and Road Initiative (BRI). Mais ce succès est de courte durée : le gouvernement Giorgia Meloni retire le port de l’initiative, illustrant les tensions croissantes entre la Chine et l’Occident sur les infrastructures stratégiques.

L’influence chinoise ne s’arrête pas aux ports. Ses investisseurs développent aussi des hinterlands stratégiques, construisant entrepôts, usines et centrales électriques. Ces infrastructures s’insèrent dans de vastes corridors économiques, comme l’axe reliant l’ouest de la Chine au port de Gwadar (Pakistan), un point clé de la BRI.

Quel rôle stratégique les ports peuvent-ils jouer sur le plan militaire ?

La présence portuaire chinoise vise d’abord à sécuriser ses ressortissants, mais joue aussi un rôle stratégique.

Comme l’explique relève Mathieu Duchâtel, directeur du programme Asie à l’Institut Montaigne :

« Cosco intègre des moyens maritimes civils aux opérations militaires, soutenant la marine chinoise et renforçant son influence sur les grandes routes commerciales »

En temps de crise, un port commercial peut devenir une base avancée. En temps de paix, ces infrastructures numérisées sont des cibles d’espionnage ou de sabotage, alimentant les inquiétudes occidentales.

En 2021, l’Europe réagit : Cosco tente d’acquérir 35 % du terminal Tollerort à Hambourg, un hub stratégique pour le commerce et la logistique militaire. Face à l’opposition de Bruxelles, des diplomates et des services de renseignement, Olaf Scholz doit limiter la participation chinoise à 24,99 %.

Cette dynamique illustre comment la Chine intègre le commerce à sa stratégie de défense, renforçant son influence maritime tout en consolidant ses alliances militaires, notamment avec la Russie. L’augmentation des exercices conjoints en Méditerranée souligne l’évolution des rapports de force et pourrait inciter d’autres puissances à repenser leur propre approche en matière de sécurité et de souveraineté économique.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.