Lors de chaque session plénière au Parlement européen à Strasbourg, Romain L’Hostis suit les débats du Parlement européen qui réunit les 705 députés européens des 27 pays de l’Union. Le 09 mai, il reçoit la députée européenne française Irène Tolleret du groupe Renew Europe, sur la réforme de la législation européenne concernant les indications géographiques (IG ; AOP …).
Est-ce que vous pouvez nous rappeler un petit peu en quoi consistent ces différentes appellations ? Qu'est-ce que l'on entend par ces indications géographiques ?
Alors tout d'abord, comme française chauvine, je tiens quand même à rappeler la filiation entre le texte européen qui protège les indications géographiques et une invention française que sont les appellations d'origine. En fait nous avons inventé en France un système qui permet de protéger la valeur ajoutée locale de productions agricoles : c'est le camembert pour le fromage, ou comté, mais c'est aussi tous les noms des vins c'est aussi le piment d'Espelette. Comment ça fonctionne ? Il y a un groupe de producteurs qui, à un moment donné, veux protéger une valeur ajoutée au travers d'un nom. Derrière ce nom il y a forcément une délimitation parcellaire. On peut pas faire du camembert à Lyon par exemple. On ne peut le faire qu’en Normandie et derrière ce choix d'endroit il y a des choix de pratiquer le camembert, c'est du lait de vache c'est pas du lait de brebis. Il y a une recette qui est partagée par tous les producteurs qui vont défendre la qualité de ce qu'on pourrait considérer comme une marque collective politique française. Laquelle a inspiré des politiques et le texte fondateur des indications géographiques c'est un règlement qui a été voté pour la première fois le 14 juillet 1992 je ne pense pas que cette date soit un hasard. Et donc aujourd'hui le monde a changé depuis 1992 on a internet qui s'est développé, donc comment est-ce qu'on fait pour continuer à accompagner cette politique européenne qui parle à tous les Européens de leurs produits de qualité locaux qui est un facteur de l'attractivité touristique très important au moment où on a internet qui se développe et les grandes surfaces et tout ça ?
Jusqu'à présent ces indications géographiques ou “appellations d’origines” s'appliquent uniquement sur des produits agricoles. Depuis le mardi 2 mai le Parlement européen et le Conseil européen qui représente les États membres se sont accordés sur un accord politique pour réformer cette législation européenne qui encadre les indications géographiques. Parmi les nouveautés l'idée serait d’étendre ces appellations à d'autres catégories de produits notamment les produits artisanaux ou industriels locaux c'est bien ça ?
Oui les indications géographiques agricoles ont montré avec l'accompagnement européen notamment dans les accords de commerce leur efficacité. Maintenant la question se pose et pour tous les produits artisanaux est-ce que on pourrait pas avoir une formule similaire ? Donc vient le texte sur les indications géographiques non agricoles, celui du 2 mai. Comme je viens de vous dire sur les indications géographiques agricoles avec des petites différences notamment sur le fait qu’on n'a pas forcément de délimitation parcellaire. Parce qu'on n’a pas forcément de parcelle où ça pousse.
Quel est l'objectif de cette harmonisation européenne ? Car il y avait déjà des indications géographiques qui existaient au niveau national, il y avait 16 systèmes nationaux : chacun de ces 16 pays européens a son propre système de catégorisation d'indications géographiques pour, par exemple, la porcelaine de Limoges. Qu'est-ce qui va changer maintenant d'avoir une gestion unifiée ?
Ca va améliorer la protection la première chose c'est ça. Pour que l'ensemble des consommateurs européens et non européens soit en contact avec de la vraie porcelaine de Limoges. Et ça va aussi permettre que l'ensemble de la force européenne de négociation, que ce soit dans les accords de commerce, que ce soit dans la promotion des produits sous indication géographique, puisse se faire de manière plus unifiée, puisque ça sera sur des bases identiques dans toute l'Union.
Maintenant qu'on semble se diriger vers une gestion européenne des indications géographiques, vient la question de qui s'en chargera. Lors des négociations il a notamment été question du rôle de l'Office de l'Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), est-ce que vous pouvez nous en parler un peu plus ?
Il est couramment surnommé EUIPO, donc l'Office des marques de l'Union qui est basé à Alicante. Quand une entreprise possède une marque Coca-Cola, ou Pampers, ils déposent leurs marques à l’EUIPO pour que les droits de ces marques soient protégés dans toute l'Union. L'agence EUIPO est une agence qui a beaucoup d'activités financées par ses marques privées et a une grande efficacité, une grande expertise dans la protection des marques.
Quelles étaient les craintes ici pour les produits concernés par les indications géographiques ?
En fait les indications géographiques ne sont pas des marques puisqu’elles sont liées à un intérêt général. Elles sont portées par des producteurs qui définissent le produit et sa vie et donc c'est un petit peu différent par rapport à Coca-Cola qui décide “voilà mon produit et voilà ce que je mets en dépôt” donc ce ne sont pas des marques au sens purement juridique. Mais les indications géographiques ont des besoins de marque par exemple les logos qui permettent de reconnaître le Châteauneuf-du-Pape sur la bouteille c'est un logo qui doit être protégé contre la contrefaçon. Donc il faut que les propriétaires que sont les producteurs de ces indications aient ces logo et puissent protéger leurs marques. Donc il y avait deux sujets différents : la conception de la marque qu’on va appeler l'examen qui reste quelque part une décision politique locale qui est gérée par la Direction générale de l'agriculture de la Commission en lien avec les États membres, et puis il y a l'enregistrement des symboles de la marque : l'enregistrement qui là va être traité en direct par le EUIPO.
Certains avancent l'idée que ça devrait être l’EUIPO qui devrait justemen s’occuper de conception de la marque. Quel est votre avis sur cette question ?
Moi je pense qu’il faut faire attention à ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Bien entendu dans le cadre de certaines indications géographiques une agence qui est au départ des marques : comment est-ce que on fait la différence entre une toute petite appellation qui demande quelque chose et une grosse appellation ? comment les priorités peuvent être traitées par rapport à l'examen et donc le fait de désolidariser l'examen de l'enregistrement en gardant les traitement d'examen dans le champ du politique et un traitement de l'enregistrement dans le champ de l'opérationnel, c'est un premier moyen d'avancer tous ensemble et d'apprendre à travailler tous ensemble, connaissant le EUIPO et la qualité du travail qu'ils font, cette fameuse Direction générale de la Commission européenne appellation pour la partie exo sur les indications géographiques agricoles.
Donc plus de travail finalement pour les institutions européennes ?
Alors ça ne s'applique pas forcément aux indications non agricoles, ce que je viens de vous dire. En fait il y a deux aspects qui sont vraiment différents : dans un cas les indications géographiques non agricoles ce sont des produits artisanaux et donc entre guillemets de vérification à avoir que dans le cas d'une indication géographique agricole on parle de délimitation parcellaire pour identifier des parcelles dans des communes. Et derrière d’identifier des types et des plans de contrôle effectivement sont liées au fait que ce sont des indications géographiques agricoles. Donc regardons comment ça fonctionne et en tout cas ce qui est sûr c'est que il y a plein de bonne volonté de tous les côtés de la table parce que tout le monde sait à quel point ces indications sont importantes c'est pas juste des marques c'est notre culture européenne c'est notre attractivité locale. Par exemple en France un des premiers choix de destination touristique en zone rurale c’est lié à la découverte d'une appellation et on a eu des très bons résultats qui ont été mis en place justement en faisant travailler le tourisme des hébergeurs, des restaurants avec les producteurs disent qu’on crée des expériences et qui sont des expériences culturelles unies dans leur diversité, et donc fondamentalement européennes.
Si on s’intéresse maintenant aux bénéficiaires de ces appellations : certains acteurs économiques s’inquiétaient de cette réforme notamment les viticulteurs en Europe. Pourquoi ?
Ils s'inquiétaient pour deux raisons : la première raison c'était parce qu’ils avaient peur en fait que des choix controversés soit annulés notamment face au changement climatique. C’est la question de “est-ce que je continue avec quelle variété de raisin si je change”. Là il y a un vote en assemblée générale, ce ne sont pas des votes à l'unanimité, mais des votes à 80 %. Les vignerons disent alors “moi, par rapport aux changements climatiques je suis d'accord ou je suis content avec cette appellation d'origine”. Il y aurait pu avoir des contestations et donc il y a des procédures très publiques, des consultations publiques. Il y a tout un cheminement assez lourd mais très démocratique et donc la peur était que quelqu'un dise “finalement cette mesure c'est pas une mesure qui va jouer sur la qualité intrinsèque du produit”.
Ces appellations d'origine sont aussi lié à un territoire : vous parlez du réchauffement climatique. Comment s'adapte cette législation européenne dans ces situations ?
Parce que ça bouge pas : à l'intérieur de l'endroit les pratiques ont changé mais l'endroit ne va pas bouger. C'est aussi une garantie d'avoir des politiques locales.
Ou alors aura-t-on des appellation en voie de disparition, si on ne pourra plus faire pousser de des vignes dans certains endroits ?
Sur l’aspect viticole sur lequel je suis un peu plus à l'aise on a des vins en plus fort degré. Mais des forts degrés c'est pas forcément l'avenir qui est en jeu pour des raisons de santé publique mais aussi pour des raisons de goût du consommateur
Là on touche à un autre débat, celui du nutriscore non ?
Aujourd’hui les alcools ne sont pas soumis au nutriscore, c'est un autre sujet mais juste pour revenir en fait sur l’idée du changement climatique j'ai mon appellation château-neuf-du-pape où mon appellation Bordeaux et à l'intérieur de ma parcelle, les vignerons travaillent ensemble pour identifier quelles sont les pratiques à modifier pour continuer à exister dans maintenant 50 ans. Donc là les appellations ne sont pas amenées à se déplacer elles peuvent s'étendre mais si elles s'étendent c'est qu'elles ont suffi aujourd'hui sur l'ensemble de leur potentiel de production. On a eu des suggestions comme Prosecco qui ont fait des choses un peu différentes donc du coup l'adaptation elle passe par le discours local : les appellations d'origine, les indications géographiques sont que les producteurs notamment agricoles européens ont trouvé pour protéger ce qu’ils savent faire de mieux au niveau local, et ça les protège contre la contrefaçon. Par exemple on vient d'autoriser dans la dernière politique agricole commune le fait d'enlever de l'alcool, mais on peut aussi avoir une réflexion sur des couleurs de vin donc des appellations qui étaient rouges, pourraient avoir envie de développer du blanc et le faire mais encore une fois sur la délimitation qu'ils ont. En ce qui concerne le nutriscore sur les boissons alcooliques, il n’y a pas de nutriscore mais c'était une chose qui avait été envisagée par le créateur du nutriscore avec un “F”. Quand on sait qu’aujourd'hui ça doit faire 30 ans qu'on essaie d'expliquer à tout le monde qu'il y a un chiffre important dans les produits avec alcool, c'est le chiffre du degré et qui est mis sur la face frontale. Il faut que tout le monde soit bien conscient que l'alcool ça se boit avec modération pas tous les jours et pas plus de deux verres par prise. Donc une dynamique pan-européenne et donc le fait de mettre un F c'est une crainte que entre bière ou vin spiritueux finalement c'est la même lettre alors que ça fait 30 ans qu'on explique que 2 verres de bière de 20 centilitres c'est pas tout à fait pareil que 2 verres de vin de 20 cl.
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Entretien réalisé par Romain L'Hostis.