Alice Collin est avocate au Barreau de Bruxelles, en droit public et européen. Après avoir étudié les sciences politique et le droit, elle s'est spécialisée en études européennes au Collège d'Europe à Bruges.
Après plusieurs années de tensions entre les filières d’élevage et les acteurs des alternatives végétales, la Cour de justice de l’Union européenne a statué début octobre que les produits simili-carnés, comme le « steak végétal » ou la « saucisse vegan », peuvent continuer à utiliser des termes traditionnellement réservés à la viande, tant qu'ils indiquent clairement leur composition végétale. Cette décision pourrait avoir des conséquences significatives sur le marché alimentaire et sur les habitudes de consommation. Qu’est ce qui a conduit à cette décision de la CJUE et quelles étaient les revendications des acteurs de la filière végétale ?
Cette affaire a débuté en juin 2022, lorsque le gouvernement français a adopté des décrets interdisant l'utilisation de termes comme « steak » ou « saucisse » pour les produits végétaux. Ces décrets ont été impulsés par les lobbys de l'élevage qui craignaient que ces appellations ne créent de la confusion chez les consommateurs. En réponse, des associations comme Protéines France et l’Union végétarienne européenne ont contesté ces décrets, affirmant que ces termes ne trompaient pas les consommateurs et que l'UE ne prévoyait aucune réglementation interdisant leur utilisation.
Et qu’a décidé la CJUE finalement ?
La CJUE a tranché en faveur des acteurs du secteur végétal. Elle a affirmé qu’aucun État membre ne peut interdire l'utilisation de noms usuels pour des produits à base de protéines végétales tant qu'il n'existe pas de définition réglementaire précise de ces termes. Cela signifie que la France ne peut pas interdire des appellations comme « steak végétal » ou « saucisse vegan ». Cependant, elle a précisé que si des pratiques de vente induisent les consommateurs en erreur, des poursuites peuvent être envisagées.
C'est donc une victoire pour les producteurs d'aliments végétaux. Mais quels sont les impacts possibles de cette décision sur le marché ?
Effectivement, c'est une victoire. Cette décision pourrait avoir des conséquences majeures sur l’ensemble du marché alimentaire. Le secteur des produits végétaux connaît une croissance exponentielle, alimentée par une prise de conscience croissante des enjeux environnementaux et de santé publique. En permettant aux produits végétaux d'utiliser des appellations connues, on ouvre la porte à une meilleure acceptation par les consommateurs. Cela pourrait également inciter plus de gens à opter pour ces alternatives, ce qui est essentiel dans la lutte contre le changement climatique.
D’un autre côté, l’industrie de la viande traditionnelle s’inquiète. Les lobbys agricoles craignent que l'utilisation de ces termes ne brouille les frontières entre les produits d’origine animale et ceux d’origine végétale, ce qui pourrait nuire à leurs ventes, surtout dans un contexte où de plus en plus de consommateurs s'orientent vers des régimes flexitariens ou végétariens.
Mais il y a aussi des défis. Certains consommateurs pourraient se sentir trompés si les produits végétaux ne correspondent pas à leurs attentes en matière de goût ou de texture. C’est pourquoi la transparence et une bonne communication sont essentielles. Il est crucial que les producteurs indiquent clairement que ces produits sont d'origine végétale.
Que pourrait-il se passer après cette décision ?
La décision de la CJUE ne signifie pas que le débat est terminé. La France pourrait chercher à adapter sa réglementation pour respecter cette décision tout en protégeant les intérêts de son secteur de l’élevage. Cela pourrait prendre la forme de nouvelles lois ou de nouvelles définitions. On peut également s’attendre à ce que d'autres pays européens prennent position sur cette question, ce qui pourrait entraîner une harmonisation ou, au contraire, une fragmentation des réglementations au sein de l'UE.
De plus, l'émergence de la viande de synthèse, qui soulève d'autres questions éthiques et réglementaires, pourrait alimenter de nouveaux débats. La façon dont ces produits seront étiquetés et commercialisés est un sujet d’actualité qui devrait continuer à être discuté dans les années à venir.
Une interview réalisée par Laurence Aubron.