Parlement européen - Session plénière

Plénière au Parlement : à la veille du vote très tendu sur la restauration de la nature, rien n'est joué

Débat sur le réglement de restauration de la nature, © European Union 2023 - Source : EP Plénière au Parlement : à la veille du vote très tendu sur la restauration de la nature, rien n'est joué
Débat sur le réglement de restauration de la nature, © European Union 2023 - Source : EP

Lors de chaque session plénière au Parlement européen à Strasbourg, Romain L’Hostis suit les débats du Parlement européen qui réunit les 705 députés européens des 27 pays de l’Union. Le 11 juillet, il reçoit la députée européenne française Caroline Roose du groupe des Verts, sur le vote très tendu des eurodéputés sur la proposition de réglement sur la restauration de la nature dans l'Union européenne. A un an des élections européennes, ce texte a cristallisé les oppositions entre groupes politiques, mais a également mobilisé la société civile. A Strasbourg, des manifestations importantes ont été organisées entre militants écologistes d'un côté, et représentants du secteur agricole de l'autre.

Le problème de la définition de l'état écologique d'un territoire est très important. Alors, les zones où on n’a pas l’état écologique connu, on les met en mauvais état. Le fait de les mettre en mauvais état, cela va pousser les Etats à aller voir dans quel état sont ces zones, à aller chercher des données. Mais il ne s'agit pas du tout de demander aux agriculteurs de redonner 10% de leurs terres ! Caroline Roose, eurodéputée du groupe Les Verts.

Ce règlement sur la restauration de la nature est une proposition faite par la Commission européenne l’année dernière, dans le cadre des objectifs que s’est fixé l’Union européenne en matière de neutralité carbone et de préservation de la biodiversité. Or, ce texte a un problème : il n’a tout simplement pas été adopté par la commission interne au Parlement qui était chargée de l’étudier, la Commission ENVI. Il est à présent présenté au débat et au vote en session plénière du Parlement européen. Nous allons revenir ensemble sur ces débats, mais d’abord, dans l’état actuel, quels objectifs et changements ce règlement sur la restauration de la nature impliquerait-il ?

Alors déjà il faut savoir que cette loi, c’est la 1ere depuis 30 ans qui nous est proposée, puisqu’en termes de loi sur la restauration de la nature, c’est la première, mais avant cela on avait la directive “Habitat” qui a 30 ans. Donc elle commence à être un peu obsolète, je dirais. Maintenant, elle est soumis en plénière. Et ce que j’entends au débat de ce matin, déjà il faut savoir qu’il y a un jeu politique du PPE en interne, un peu la guerre en interne du PPE, qui fait qu’on a des fake news : on nous parle de sécurité alimentaire, que ce texte va au-delà, qu’on n’aura plus de paysans, on n’aura plus d’agriculteurs, on n’aura plus de pêcheurs. Sauf que moi je dis, à un moment, si on n’a plus d’écosystèmes, si on détériore les fonds marins, finalement on n’aura plus de pêcheurs et on aura donc tout perdu. Le but de restaurer les écosystèmes marins, c’est d’avoir des bons écosystèmes avec des espèces halieutiques qui se reproduisent et des pêcheurs qui puissent pêcher.

Cette situation catastrophique que vous décrivez on en est pas loin : selon la Commission européenne, plus de 80% des habitats naturels dans l’UE sont jugés dans un état “mauvais ou médiocre”. Si ce texte est adopté, de combien de temps disposeront les Etats pour rétablir ces écosystèmes, et y aura-t-il des financements européens ou des outils d’accompagnement pour faciliter ces efforts de restauration ?

Il y a un pourcentage en 2030, et ensuite en 2050, et forcément qu’il y aura des outils qui seront débloqués. Le problème que j’ai eu moi, en commission “pêche”, c'est que j'ai des des députés PPE qui me disent “oui mais les pêcheurs ont besoin de visibilité”. Alors moi je leur propose par exemple une date 2030 avec un pourcentage, 2040 avec un pourcentage, 2050 avec un autre pourcentage. Mais on me dit “non finalement on va repousser un petit peu la date”. Je leur dis ok on va mettre 2035 mais après il faut prévoir 2040 2050. Mais on “non, nous on veut rien”. Donc elle est où la visibilité ? Finalement ils ne veulent rien tout simplement.

Pourquoi ne veulent-ils rien ? Est-ce que c'est parce que c'est un texte qui était proposé trop tôt ? ou bien parce que cette loi de la restauration va instaurer des objectifs contraignants avec des sanctions ? 

Pour que l'on puisse nous juridiquement, ensuite aller à l'encontre des États membres qui ne respectent pas les choses ? Le problème c'est qu’on ne peut pas dire qu'il soit contraignant aujourd'hui, puisque on a quand même une transition. Et puis au début de mon mandat je me rappelle quand même qu'on a voté l'urgence climatique, qu'on a parlé du Green Deal etc. et ça en est où tout ça aujourd'hui ? Avoir fait tout ce qu'on a fait en début de mandat, ce texte est peut-être arrivé sur une mauvaise période, mais je pense que la nature sur les guerres internes politiques elle n’a pas à en subir les conséquences.

Ce texte est devenu l'objet d'une véritable bataille entre les différents groupes politiques : le PPE donc la droite au Parlement européen qui est le parti majoritaire s’est fait un devoir de rejeter en totalité ce texte. Ce n'est pas le cas d’autres groupes et au final cette semaine en plénière l'objectif n'est pas d'adopter le texte mais de voter si oui ou non on va rejeter le texte. Il y avait donc un débat à ce sujet prévu aujourd'hui mardi 11 juillet, qu’en avez-vous pensé Caroline Roose ?

Ce que j’ai dit dans mon intervention c'est que aujourd'hui, ce texte c'est la guéguerre interne du PPE, et puis on se retrouve avec le groupe du PPE plus Renew qui est éclaté un petit peu, qui marche un peu non pas dans dans l'unité mais en ordre dispersé ; l'extrême droite qui veut absolument que ce rejet se fasse.. Donc on a une coalition de la droite et l'extrême droite sur le rejet du texte.

Vous évoquiez au début de notre échange le risque que certains manipulent les chiffres les éléments qui les mêmes des fake news avancées. Ce matin il y avait une manifestation par plusieurs manifestations à Strasbourg d'un côté des militants pro écologie notamment Greta Thunberg qui est présente. En face des représentants du secteur agricole qui avait été appelés par les grands syndicats agricoles européens qui eux s'opposent à l'adoption de ce texte. L’un de leurs arguments, c’est la crainte de devoir renoncer à cultiver 10% de leurs terres, par exploitation. Qu’en pensez-vous ? Est-on face à une fake news, ou bien est-ce vraiment ce qu’aimerait mettre en place ce texte ?

Moi, j’étais à la manifestation ce matin, du côté de Greta Thunberg. Dans les interventions de ce matin, il y a eu ces arguments là qui ont été relayés par le PPE, et le Commissaire européen a bien dit, il a même cité le numéro de l’article dans le texte en question, pour dire que ce n’est pas vrai. Il a avancé des contre-arguments. C’est totalement faux quand on parle de sécurité alimentaire en disant “on veut tuer les pêcheurs, on veut tuer les agriculteurs”. Je ne sais pas si vous avez regardé dans les derniers tweets, ils ont même été dire qu’on va faire disparaître des villes entières, et même la maison du Père Noël.

Finalement, qu’y a-t-il derrière ce chiffre de 10% ? que dit le texte, la proposition de règlement ?

Sur la proposition de réglement, ce n’est pas les 10%. C’est ce qu’a expliqué le Commissaire ce matin : il y a une manière d’aborder la transition, et quand on voit le pourcentage du texte, on n’est pas sur 10%. Ils se sont dit “on va devoir redonner 10% de nos terres”. Mais pas du tout ! On est à un autre pourcentage qui est beaucoup plus faible, et on ne va pas redonner les terres.

Ce que j’y ai lu, les Etats s’engageront à restaurer 20% de leurs espaces naturels qui sont endommagés. Et d’ici à 2050, ces 20% deviendront tout espace qui doit nécessairement faire l’objet d’une restauration. 

C’est ça. Et le problème de la définition est très important, et c’est ce que j’ai vécu moi en commission “pêche”. Pour faire en sorte que les Etats bougent, aillent chercher des données, fassent des expertises sur des zones où on n’a pas d’éléments, on les poussent un peu en leur disant qu’il faut qu’on arrive à un bon état écologique dans un certain pourcentage d’espaces. Les zones où on n’a pas l’état écologique connu, on les met en mauvais état. Le fait de les mettre en mauvais état, ça va pousser les Etats à aller voir dans quel état sont ces zones. Mais on ne demande pas de restituer 10% des terres.

Mais est-ce que le risque de voir stagner voire baisser la production alimentaire européenne, est-ce qu’il est réel ce risque ?

Mais pas du tout ! Il faut revoir surtout le mode de consommation, le mode de production. Est-ce que continuer à polluer les terres, par l’agro-industrie, les techniques de pêche complètement destructrices, est-ce que c’est ça qu’on veut continuer à faire ? A force de faire ça, on n’aura plus rien. Justement, on veut restaurer la nature pour pouvoir continuer à manger tout simplement.

Des négociations qui interviennent notamment en même temps que celles sur les pesticides : que pensez-vous de ces combats menés en parallèle, comme par exemple la réintroduction à venir du glyphosate en Europe ?

Oui, j’étais en train de montrer mon pin’s “no pesticide”. Par exemple, j’ai un maraîcher en bas de chez moi, il n’utilise pas de pesticides. [...] Il a toujours fait ça, ça fonctionne très bien. A un moment donné, à force de polluer les terres, déjà ça va en mer, et après on ne pourra plus travailler cette terre, qui sera complètement polluée, et où on ne pourra plus rien faire pousser. 

Un dernier volet de ce texte, c’est celui en lien avec la pêche. Caroline Roose, vous faîtes partie de la commission pêche. Comment restaurer en moins de 20 ans la biodiversité dans ces espaces si vastes car ils ne connaissent pas de frontières naturelles ?

Il y a pas longtemps, j’ai été à Côte bleue, c’est un parc marin qui est dans le département n°13, qui s’est développé avec l’initiative des pêcheurs. Au départ, des responsables du parc sont allés voir les pêcheurs en leur disant qu’il faudrait préserver ces fonds marins par rapport aux écosystèmes, voir si on peut limiter ou interdire le chalutage de fond. On mettra un appareil pour éviter que les chaluts n’aillent sur le fond, etc. Et aujourd’hui, dans toute cette zone de pêche, les poissons sont plus gros, ce qui bénéficie à la pêche. Donc ça fonctionne. Alors c’est vrai qu’on a un problème de bornage pour expliquer où est la zone protégée, mais je pense que la clé de tout ça c’est la concertation de toutes les parties prenantes. [...]

Finalement, au vu de tous ces intérêts divergents qui n’arrivent pas toujours à trouver un compromis, à l’image de ces manifestations opposées aux portes du Parlement, est-ce que ce texte n’a pas été proposé trop vite, ou bien pensez-vous que nos sociétés sont prêtes à faire ce qu’il faut pour concilier production alimentaire, exploitation des ressources, et en même temps durabilité et restauration de la biodiversité ?

Que voulons-nous aujourd’hui ? Quand on voit ce qui se passe aujourd’hui au niveau climatique, quand j’entends Emmanuel Macron demander une pause environnementale, ce n’est pas possible. L’urgence climatique, les feux de forêt, les inondations ne font pas de pause. [...] Alors, certes cette idée de pause a été reprise par la Belgique, je pense que c’est une aberration totale, et cela peut être catastrophique pour moi de faire cette pause environnementale, au vu de tout ce qui se passe actuellement.

Donc, êtes-vous optimiste quant au vote de demain au Parlement européen sur ce réglement sur la restauration de la nature ?

Avec le débat qu’on a eu ce mardi 11 juillet, je pense que le vote demain va être très serré. J’espère qu’il passera. S’il ne passe pas, pour moi c’est une catastrophe car on n’aura pas de texte du tout. Même si aujourd’hui, ce texte est moins ambitieux que ce que je voulais. Si on n’a pas de texte du tout, on se retrouve à nouveau avec une directive qui a 30 ans.

Entretien réalisé par Romain L'Hostis.