Toutes les deux semaines, retrouvez Romain Le Quiniou sur Euradio avec sa chronique Europe Puissance, qui parle des faiblesses européennes sans tabou pour mieux imaginer l’Europe stratégique de demain.
On retrouve Romain Le Quiniou, directeur général du think tank Euro Créative, pour sa chronique Europe Puissance.
Romain, c’est une semaine très chargée à Bruxelles avec le Conseil européen des 18 et 19 décembre. Que peut-on en attendre ?
Effectivement Laurence, l’agenda est particulièrement dense pour les chefs d’État et de gouvernement européens ces jours-ci.
Deux dossiers, en particulier, cristallisent les tensions : les avoirs russes gelés et l’accord Mercosur. Dans les deux cas, on parle de dossiers qui traînent depuis plusieurs années et sur lesquels l’Union européenne peine à conclure. Pourtant, ce sont deux enjeux hautement stratégiques.
S’agissant des avoirs russes gelés, la question est double :
- d’une part, utiliser ces capitaux comme levier financier pour soutenir durablement l’Ukraine face à l’agression russe ;
- d’autre part, en faire un outil crédible pour la reconstruction du pays.
Quant au Mercosur, c’est un serpent de mer européen qui date de 1999. 1999 imaginez-vous.
En jeu : la possibilité pour l’Europe de conclure un vaste accord de libre-échange avec plusieurs pays d’Amérique du Sud. Un accord important pour l’industrie européenne et l’accès aux matières premières, mais qui suscite de fortes inquiétudes, notamment chez les agriculteurs. Dans les deux cas, au-delà des arguments pour ou contre, une chose est claire : leur finalisation serait un signal fort de la capacité de l’Europe à agir. Or, les divisions persistent, et ces deux dossiers pourraient bien, une fois encore, capoter.
Comment expliquer cette incapacité récurrente de l’Europe à conclure sur des sujets aussi stratégiques ?
C’est, fondamentalement, un problème de leadership.
Rien de nouveau, certes, mais il devient de plus en plus préoccupant. Sans entrer dans le détail de ces accords — qui ont à la fois leurs partisans et leurs opposants — le vrai sujet est ailleurs. L’Union européenne semble aujourd’hui enlisée, incapable d’avancer sur des dossiers pourtant essentiels à sa sécurité, à sa prospérité et à sa crédibilité.
L’Europe reste réactive plutôt que proactive, lente dans ses décisions, minée par des divisions internes profondes, et finalement obnibulée par les enjeux domestiques de ses États membres.
Les Européens peinent à se rassembler face aux grands défis collectifs. Et cela risque de continuer à l’heure de la montée des courants populistes et extrémistes, de fragmentations politiques de plus en plus importantes, et plus encore de absence de figure capable d’incarner une direction claire.
Vous êtes en train de dire qu’il n’y a finalement personne pour tenir la barre ?
C’est exactement cela, Laurence. Force est de constater qu’aujourd’hui, l’Europe n’a pas de capitaine, et cela nuit directement à sa puissance. Pendant longtemps, le couple franco-allemand a joué ce rôle de moteur. Lorsque Paris et Berlin parvenaient à un consensus, cela suffisait souvent à enclencher une dynamique européenne. Ce n’était pas parfait, loins de là pour une multitude de raisons, mais cela fonctionnait.
La guerre en Ukraine a cependant mis en lumière les limites de ce leadership. À juste titre, la France et l’Allemagne ont été critiquées pour leurs hésitations et leurs errances stratégiques.
On a alors cru que le leadership européen pourrait se déplacer vers le flanc Est, avec des pays comme la Pologne, très déterminés face à la menace russe. Mais cela ne suffit pas à structurer un leadership européen global.
Aujourd’hui, la situation est floue :
- Emmanuel Macron est en fin de cycle politique en France ;
- le chancelier Merz est affaibli par des contraintes domestiques ;
- d’autres dirigeants comme Meloni, Tusk ou Sanchez sont visibles, mais jouent des rôles secondaires.
Quant à Ursula von der Leyen et à la Commission, elles ne disposent ni de la légitimité politique ni du soutien des États membres pour s’imposer comme centre de gravité. Dans ce vide, certains acteurs, comme Viktor Orbán, tentent d’imposer un contre-modèle.
Résultat : indécision, fragmentation, et paralysie, au pire moment possible.
Cela affecte donc directement la posture européenne sur la scène internationale ?
Sa posture, mais aussi sa crédibilité. L’Europe revendique une place de premier plan dans l’ordre international. Mais peut-elle réellement l’assumer lorsqu’elle est incapable de parler d’une seule voix sur ses propres priorités stratégiques ?
Les divergences internes profitent directement à nos rivaux. La Russie poursuit son offensive militaire en Ukraine et multiplie les attaques hybrides contre les États européens. Les États-Unis et la Chine exercent une pression économique croissante sur l’Europe, exploitant ses hésitations.
D’autres puissances intermédiaires avancent leurs pions en tirant parti des divisions européennes.
Résultat : l’Europe peine à peser sur les grands dossiers internationaux — de l’Ukraine à la mer de Chine, en passant par le Proche-Orient. Elle est objectivement en position de faiblesse.
Alors comment sortir de cette impasse ?
Il faut une prise de conscience, à la fois des élites politiques et des citoyens européens. Cette situation n’est plus tenable, car elle nous met collectivement en danger.
Les dirigeants européens doivent changer de logiciel :
- finie la réaction permanente, place à l’action ;
- fini le court-termisme électoral, place à une vision stratégique de long terme.
Les demi-mesures ne suffisent plus. Il faut désormais des choix clairs et des transformations profondes.
Sans cela, ce n’est pas seulement l’ambition européenne qui est en jeu, mais notre sécurité, notre prosperité et notre modèle démocratique.
Il est plus que temps d’agir pour les Européens.
Merci Romain. Espérons que 2026 soit l’année du renouveau.On vous retrouvera l’an prochain pour Europe Puissance.
Je rappelle, Romain Le Quiniou, que vous êtes directeur général d’Euro Créative, le think tank français dédié à l’Europe centrale et orientale.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.