Alice Collin est avocate au Barreau de Bruxelles, en droit public et européen. Après avoir étudié les sciences politique et le droit, elle s'est spécialisée en études européennes au Collège d'Europe à Bruges.
Le 24 octobre 2024, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a rendu un verdict déterminant en faveur d'Intel, confirmant l’annulation d'une amende historique de 1,06 milliard d’euros infligée en 2009 par la Commission européenne pour abus de position dominante. Cet arrêt constitue un moment crucial non seulement pour Intel, mais également pour l’évolution de la jurisprudence en matière de concurrence dans l’Union européenne. Sur quoi repose précisément cette décision et quelles pourraient en être les conséquences pour la politique de concurrence de l’UE ?
La CJUE s’est penchée sur les accusations que la Commission avait formulées contre Intel en 2009. À l’époque, la Commission affirmait qu’Intel utilisait des rabais de fidélité pour consolider sa domination sur le marché des processeurs x86. En clair, Intel offrait des remises aux fabricants de PC, comme Dell, HP, NEC et Lenovo, mais sous une condition : qu’ils achètent presque exclusivement leurs processeurs chez Intel, bloquant ainsi les autres concurrents qui auraient voulu proposer leurs propres produits.
Cependant, la Cour a conclu que la Commission n’avait pas suffisamment prouvé que ces remises constituaient vraiment une infraction aux règles de la concurrence en Europe. Autrement dit, l’amende a été annulée.
Quels sont les impacts concrets de cette décision pour l’Union européenne ?
Ce qui rend cette décision vraiment intéressante, c’est que, bien qu’Intel ait déjà obtenu l’annulation de cette amende en 2022 devant le Tribunal de l’UE, la Commission avait contesté cette décision. Elle estimait que le Tribunal avait commis des erreurs juridiques et d’interprétation dans son analyse. Mais au final, la CJUE a rejeté les arguments de la Commission, confirmant que les erreurs pointées par le Tribunal étaient assez graves pour justifier l’annulation de l’amende.
C’est un message clair : il ne suffit pas de dire qu’une entreprise dominante est coupable, il faut prouver que ses actions ont vraiment des effets néfastes sur le marché. Ça pourrait amener la Commission à revoir ses méthodes et à être plus prudente dans ses accusations.
Est-ce que ça pourrait encourager d’autres entreprises à contester les sanctions de la Commission ?
Oui, absolument ! Ce jugement montre que la CJUE est prête à examiner de très près les décisions de la Commission. Donc, pour des entreprises dans des situations similaires, ce verdict pourrait les inciter à utiliser davantage leurs recours juridiques.
Mais alors, est-ce que cette décision pourrait créer des tensions dans l’Union ?
Probablement. Certains États membres, surtout ceux qui soutiennent des règles strictes en matière de concurrence, pourraient voir ce jugement comme une limite au pouvoir de la Commission. D’autres, au contraire, pourraient y voir un progrès en faveur de la transparence et de la justice dans les décisions de Bruxelles. Ce jugement pourrait même relancer les débats sur les pouvoirs de la Commission européenne et sur la manière dont elle gère la concurrence.
Et l’histoire est-elle finie pour Intel ?
Pas encore ! Après la première annulation en 2022, la Commission a imposé une nouvelle amende de 376 millions d’euros en 2023, en se concentrant sur d’autres pratiques jugées anticoncurrentielles. Intel a fait appel, et cette nouvelle amende pourrait elle aussi être réexaminée par la CJUE, qui appliquera sans doute les mêmes standards de preuve.
En somme, cette décision marque un tournant. Elle impose des exigences plus élevées pour prouver des pratiques anticoncurrentielles et pourrait encourager les entreprises à aller jusqu’au bout de leurs recours en cas de désaccord. Mais elle souligne surtout l’équilibre délicat que l’UE doit maintenir entre régulation et justice pour les entreprises.
Une interview réalisée par Laurence Aubron.