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Pourquoi le Tribunal de l’UE s’attaque aux Questions Préjudicielles ?

© Rijksdienst voor het Cultureel Erfgoed - Ger Barbiers Pourquoi le Tribunal de l’UE s’attaque aux Questions Préjudicielles ?
© Rijksdienst voor het Cultureel Erfgoed - Ger Barbiers

Alice Collin est avocate au Barreau de Bruxelles, en droit public et européen. Après avoir étudié les sciences politique et le droit, elle s'est spécialisée en études européennes au Collège d'Europe à Bruges.

Depuis début octobre, la Cour de Justice de l’Union européenne a transféré certaines compétences au Tribunal de l’UE pour répondre aux questions préjudicielles dans des domaines spécifiques. Qu’est-ce que cela signifie concrètement, et pourquoi est-ce important ?

La question préjudicielle, c’est un mécanisme central dans l’Union européenne. Quand une juridiction nationale, par exemple un tribunal français ou allemand, rencontre une difficulté d’interprétation concernant une loi européenne, elle peut poser cette question à la Cour de Justice de l’UE. La Cour donne alors une interprétation qui va guider le tribunal national dans sa décision. Or, avec cette réforme, certaines de ces questions – dans des domaines techniques comme la TVA, les droits de douane, ou même les droits des passagers aériens – seront désormais traitées par le Tribunal de l’UE plutôt que par la Cour de Justice elle-même. L’idée, c’est de mieux répartir les charges de travail et d’accélérer les réponses.

Quelles sont les implications pour les États membres et les entreprises ? Est-ce que cela va changer quelque chose pour eux ?

Absolument. Ce transfert de compétences est pensé pour rendre le système plus efficace, ce qui est essentiel dans le contexte actuel où les questions d’accès au marché européen et de réglementation deviennent de plus en plus complexes. Pour les entreprises européennes, notamment celles qui exportent ou importent, il est crucial d’avoir des réponses rapides et claires sur des questions de TVA ou de douane. Un jugement qui arrive plus vite aide à sécuriser leurs activités commerciales. Par exemple, une entreprise qui souhaite importer un produit spécifique saura rapidement comment les règles douanières s’appliquent, ce qui est très précieux pour éviter des retards ou des frais supplémentaires imprévus.

Est-ce que cette réforme signifie que les procédures vont fondamentalement changer devant le Tribunal de l’UE ?

Les règles de procédure, en fait, restent similaires. Le Tribunal va appliquer les mêmes standards : les questions préjudicielles passent toujours d’abord par la Cour de Justice, qui fait une analyse initiale. Ensuite, si elle estime que le Tribunal peut trancher la question, elle lui transfère le dossier. Les avocats généraux continueront d’assister le Tribunal, et des chambres spécialisées seront mises en place. Si une partie conteste la décision du Tribunal, elle pourra être réexaminée par la Cour de Justice sur recommandation d’un avocat général. Cette option, cependant, ne sera possible que dans un délai limité. Au bout d’un mois, la décision du Tribunal devient définitive.

Pour finir, que peut-on attendre de ce transfert en matière de sécurité juridique ? Est-ce que cela va encourager les États membres à mieux utiliser le mécanisme préjudiciel ?

Oui, c’est l’un des grands espoirs derrière cette réforme. En allégeant la charge de la Cour de Justice, l’Union européenne espère rendre ce mécanisme préjudiciel plus accessible, et encourager les juridictions nationales à y recourir davantage. En France, par exemple, les tribunaux nationaux ont été assez prudents jusqu’à présent – on ne compte que 4 % des renvois préjudiciels pour l’ensemble des États membres sur les cinq dernières années. Mais il est essentiel que les juges nationaux se sentent encouragés à poser des questions lorsqu’ils en ont besoin, parce que chaque réponse préjudicielle renforce la clarté et la sécurité juridique pour tous.

L’Union fonctionne mieux si chacun s’approprie le droit européen et en assure une interprétation harmonieuse, qu’il s’agisse de grandes entreprises ou de simples citoyens.

Une interview réalisée par Laurence Aubron.