Une chronique de Christine Le Brun, Experte Smart Cities & Places chez Onepoint, où nous parlerons de villes, d’outils et de technologies numériques, de données, mais aussi des citoyens et de ceux qui font les villes.
Bonjour Christine Le Brun, la semaine dernière vous nous avez parlé de l’Open data, et pour continuer sur le thème de l’intelligence collective dans la smart city, vous allez aujourd’hui nous faire découvrir la notion de service public de la donnée.
Tout à fait Laurence, on est dans la suite logique du sujet de la semaine dernière. Il s’agit ici d’aller plus loin et d’organiser le partage des données produites sur le territoire pour en faire un service public à part entière. Et cela concerne un éventail plus large de données, qu’elles soient publiques, privées, associatives voire individuelles. A partir du moment où elles profitent à l’intérêt général, elles sont intéressantes. On parle parfois de donnée d’intérêt territorial. L’objectif est aussi de poser un cadre de confiance pour organiser les échanges, et respecter les questions de sécurité, de confidentialité et d’éthique.
Cela me semble très proche de l’open data. Où se situe la différence ?
Dans l’Open data, c’est uniquement la collectivité qui met ses propres données à la disposition de toute personne intéressée pour s’en saisir, les exploiter ou simplement pour les consulter. C’est une démarche plus ou moins passive où l’on dépose ses données et on attend de voir ce qui se passe, en espérant qu’il se passe quelque chose…
Le service public de la donnée, c’est plus large. Cela ne concerne pas que les données produites par la collectivité mais aussi celles issues d’autres acteurs de l’écosystème, comme des entreprises privées, des associations ou même des citoyens. C’est aussi un prolongement plus actif de la démarche d’open data, dans lequel l’administration locale essaye de jouer un rôle d’animateur et de pousser des initiatives pour inciter les différentes parties à travailler ensemble. Faciliter l’accès aux données des uns, pour l’usage des autres, est un bon moyen d’y parvenir.
Et donc, comment s’y prend on ?
Et bien, comme pour l’open data, cela passe par des plateformes, des sites web si vous voulez, qui vont répertorier tous ces jeux de données. La différence c’est que ici, ceux qui mettent de la donnée à disposition, ce sont aussi des entreprises privées ou d’autres organismes. Là où avant ils n’étaient que consommateurs, ici ils sont aussi apporteurs. Bien sûr, chacun choisit ce qu’il accepte de diffuser. Et de plus, en général, il peut aussi spécifier qui y aura accès. Une entreprise peut par exemple accepter de partager certaines de ses données avec la collectivité, ppur des projets d’intérêt général, mais refuser que d’autres entreprises potentiellement concurrentes y aient accès. D’où la nécessité de créer un environnement parfaitement sécurisé pour créer la confiance indispensable à de telles pratiques.
Et, vous me connaissez Christine, j’aime bien les exemples concrets, alors qu’est ce qu’on en fait, de tout ça ?
On en a déjà parlé, dans la smart city, il existe plein de sujets qui impactent ou dépendent de nombreux acteurs. Je pense par exemple à la décarbonation, la santé publique, ou le changement climatique. Le but du service public de la donnée est d'alimenter des projets qui ont besoin de données issues de plusieurs producteurs. En matière d'énergie, par exemple, si l'on veut croiser les données de consommation et de potentiel de production d'énergies renouvelables avec des données liées à la croissance de la population et au développement de nouveaux quartiers, cela fait pas mal de monde autour de la table. Les plateformes comme celles que je viens de décrire facilitent les choses en mettant à disposition, à la fois des moyens techniques et un cadre légal pour les utiliser.
Un autre exemple est de mettre en commun des données similaires, mais provenant de fournisseurs différents. Par exemple, plusieurs gestionnaires de réseaux d’eau vont partager des données sur leurs canalisations. Cela augmente la taille de l’échantillon sur lequel étudier les fuites d’eau potable. C’est important car un échantillon large constitue la base d’apprentissage des modèles d’intelligence artificielle. Modèles qui sont ensuite intégrés aux outils qui aident à anticiper les casses et à optimiser la maintenance.
Et est ce que ça marche vraiment ? Je veux dire, les différents acteurs sont ils vraiment prêts à collaborer dans l’intérêt public ?
Je ne vais pas vous le cacher, Laurence, tout cela ne va pas de soi, et ces projets se heurtent à des vraies difficultés, qui sont souvent aussi culturelles que techniques. Ces initiatives sont encore très jeunes, pour les services dans les villes, comme pour les entreprises. La culture de la donnée n’est pas encore là, et quand elle y est, son partage ne coule pas de source, même dans l’intérêt général. On a tendance à voir ses données comme un capital qu’il faut garder bien au chaud pour le protéger. Et c’est justement là que l’acteur public est légitime. Il a un rôle fédérateur et de tiers de confiance. A travers le service public de la donnée, il peut créer à la fois les solutions techniques et le cadre juridique qui doit permettre à chacun d’accéder aux données dont il a besoin, tout en assurant la protection des données sensibles.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.