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Copenhague : la ville éponge

Photo de Nick Karvounis sur Unsplash Copenhague : la ville éponge
Photo de Nick Karvounis sur Unsplash

Une chronique de Christine Le Brun, Experte Smart Cities & Places chez Onepoint, où nous parlerons de villes, d’outils et de technologies numériques, de données, mais aussi des citoyens et de ceux qui font les villes.

Bonjour Christine Le Brun, aujourd’hui on parle d’adaptation au changement climatique et en particulier du risque de précipitations extrêmes, dans une ville qui reste marquée par un épisode douloureux : Copenhague.

En effet Laurence. Le 2 juillet 2011, Copenhague a connu un épisode pluvieux sans précédent, où il est tombé autant de pluie en quelques heures que pendant 2 mois. En plus des fermetures et des évacuations comme celles du siège de l’OMS et d’une partie du centre hospitalier, la police s’est retrouvée sans téléphone pendant 3 jours. Mais surtout l’ampleur des opérations de nettoyage a généré des problèmes sanitaires très inquiétants. Dans l’ensemble, les dommages ont été estimés à près de 1 milliard d’euros.

Cette ville est bien connue dans le monde des smart cities et maîtrise tout un tas d’innovations connectées. Est-ce ce savoir-faire qu’elle entend mobiliser pour lutter contre ce phénomène et limiter le risque que cela se reproduise ?

C’est vrai que Copenhague fait figure de pionnière et arrive souvent en tête des classements smart city. Elle expérimente en permanence de nouvelles solutions technologiques pour transformer la ville et créer un environnement plus agréable et plus durable. Par exemple, au sein du Street Lab, la voirie a été équipée de capteurs en tout genre, collectant des données sur la qualité de l’air, le taux de remplissage des poubelles, ou encore la disponibilité des places de stationnement. Mais pour notre sujet du jour, ce n’est pas là-dessus qu’elle compte, en tout cas pas que.

Et c’est donc de cela que vous vouliez nous parler ?

Tout à fait, parce qu’il y a plein de moyens de faire des choses intelligentes dans une ville. La première étape est bien sûr de comprendre ce qui s’est produit en 2011. En l’occurrence le constat est simple : le problème n’est pas qu’il pleuve beaucoup mais que cela se produise dans un laps de temps tellement court que tous les systèmes de drainage deviennent inefficaces. Les installations de traitement de l’eau, les canalisations d’écoulement des eaux pluviales, les sous-sols et les rues sont donc inondés. Pour contrer le phénomène, l’idée est toute simple elle aussi : ralentir l’eau en chemin et la rediriger vers des zones moins critiques.

Facile à dire, mais concrètement, quels sont ces espaces ? Les parcs par exemple ?

Tout à fait, mais aussi les rues, les parkings et la mer. Le projet s’appelle Skybrudsplan, et consiste en une vaste démarche d’aménagement des espaces publics, qui compose avec l’eau pour redessiner ces espaces et les adapter au phénomène de précipitations extrêmes. Plutôt que d’essayer de redimensionner le système des égouts, chose extrêmement complexe et coûteuse, et sans réelle garantie de résolution du problème, ils ont choisi une autre approche : faire de Copenhague une ville capable d’absorber l’eau et de la restituer lentement. D’où la dénomination de ville-éponge.

Voilà une idée très séduisante en effet, mais comment ça marche ?

Les experts ont élaboré une cartographie précise des flux d’eau de pluie, et déterminé le trajet que l’eau emprunte et les obstacles qu’elle rencontre. A partir de là, il s’agit d’exploiter tous les moyens possibles pour capter, retenir et gérer les excès. Le plan recense 300 projets, parmi lesquels des tunnels souterrains géants capables de collecter et de rejeter vers la mer d’énormes quantités d’eau. Mais en surface, ce sont aussi les parcs et tout un ensemble de dispositifs de stockage et de végétalisation qui ont une place centrale, et sont repensés avec une vision nouvelle.

Ces aménagements ont donc un double emploi d’espaces de loisirs et de réservoirs d’appoint ?

C’est exactement cela. Par exemple, dans le parc Enghaveparken, en plus des espaces de pelouses, on trouve des espaces creux, où ont été créés un skatepark et un terrain de basket. En cas d’orage violent, ils se transforment en grands bassins qui collectent l’eau de pluie, et l’empêchent de provoquer des inondations ou de submerger le système d’égouts. A plus petite échelle, la Tåsinge Plads, jusqu’ici très minérale, a été modifiée pour que 30% de l’eau de pluie qui tombe dans le quartier, ne s’écoule plus dans les égouts mais dans une série de bassins ou s’infiltre dans les parterres de fleurs. Le but à long terme est de construire partout dans la ville des dispositifs qui fonctionnent sur ce principe en retenant l’eau et en l’évacuant sur un temps plus long.

Et justement, où en est aujourd’hui le Skybrudsplan ?

Les premiers projets ont bien démontré leur efficacité lors des derniers épisodes d’orages, et des travaux complémentaires sont encore prévus jusqu’en 2035. La philosophie est que pour chaque aménagement ou renouvellement d’espace urbain, on intègre cette notion d’adaptation au changement climatique. C’est essentiel concernant les précipitations mais les projets en question ont d’autres bénéfices connexes. La présence de végétation favorise l’absorption et l’évaporation, mais aussi la lutte contre les ilots de chaleur en été. Enfin, elle agit en faveur de la biodiversité, de l’esthétique, et du bien-être de manière générale. Un combo plutôt intéressant vous ne trouvez pas ?

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.