Une chronique de Christine Le Brun, Experte Smart Cities & Places chez Onepoint, où nous parlerons de villes, d’outils et de technologies numériques, de données, mais aussi des citoyens et de ceux qui font les villes.
Bonjour Christine Le Brun, vous êtes experte en territoires intelligents au sein du groupe Onepoint et au programme aujourd’hui, non pas une ville mais 2, que vous allez rapprocher, alors qu’elles n’ont a priori pas grand-chose en commun. Il s’agit de Londres et de Venise. Quel est le sujet qui les réunit ?
Il s’agit de la vitesse. Quand je faisais mes recherches sur Londres, dont j’ai parlé dans la chronique précédente, je suis tombée sur une étude qui parlait de l’impact de la réduction de la vitesse de circulation. Et dans la même semaine, j’ai découvert qu’à Venise, on réduit aussi la vitesse de circulation, mais sur les canaux ! Mais pas pour les mêmes raisons qu’à Londres.
D’où l’idée de ce rapprochement. Que nous apprend cette étude à Londres, menée par TFL il me semble ?
Tout à fait Laurence. TFL, c’est Transport For London, l'organisme public local responsable de la mise en œuvre du plan des transports à Londres et de la prestation de service qui va avec. Cela concerne le métro, les trains, les bus mais aussi les voies navigables, les pistes cyclables ainsi que l’entretien des chaussées et la signalisation qui va avec. C’est donc un énorme périmètre, et depuis de nombreuses années, ils œuvrent à limiter la vitesse à 20mph, soit environ 30km/h en divers endroits de la capitale.
L’objet de l’étude était donc d’évaluer l’impact de cette mesure ?
Tout à fait, et pour cela ils ont rassemblé et agrégé des statistiques sur plusieurs années, avant et après la mise en place de la mesure, en 150 endroits différents de la ville. Ils les ont comparées avec celles des arrondissements où ces mesures n’ont pas encore été adoptées. La conclusion est sans appel avec une réduction de 35 % des collisions, mais surtout de 34% du nombre de personnes tuées ou grièvement blessées.
C’est donc une initiative simple, avec des résultats probants. Pourquoi ce travail de consolidation des données est-il important ?
Cette étude est un marqueur et un indicateur essentiel pour TFL dans le suivi de l’objectif fixé par la municipalité qui est d’atteindre l’objectif de 0 morts ou blessés graves dans les rues de la capitale. C’est tout l’intérêt de monitorer l’impact des politiques publiques. Ces chiffres objectivent la démarche et en montrent les bénéfices. TFL va maintenant pouvoir s’appuyer dessus pour convaincre les arrondissements encore réfractaires de rejoindre le mouvement et de fixer une limite à 20 mph par défaut. Une démarche vertueuse qui améliore par ailleurs la qualité de l’air, limite le bruit en ville et qui favorise en prime les mobilités douces en créant un contexte plus « friendly » pour les vélos et les piétons.
Et qu’en est-il à Venise alors ?
Et donc, à Venise, on réduit aussi la vitesse de circulation, sur les canaux ! Mais pas pour les mêmes raisons, enfin pas que. Et c’est une petite révolution. Dans les rues de Venise, il n’y a pas que des gondoles. Dans les années 50, il y avait environ 10000 bateaux à moteur ; ils sont aujourd’hui plus de 70 000. Une croissance de 33% par an en moyenne, mais qui s’accélère très fortement ces dernières années en raison des livraisons de colis à domicile, qui se fait aussi par bateau. Et, cela peut paraitre incroyable mais jusqu’ici, il n’y avait pas de limitation de vitesse pour les vaporetti et autres bateaux-taxis.
Et connaissant le caractère fougueux des Italiens, c’est certainement parfois assez animé…
C’est peu de le dire. Le problème c’est qu’au-delà du caractère haut en couleurs de la situation, plus un bateau est rapide, plus il crée des vagues nombreuses et amples. Celles-ci viennent heurter de manière incessante les bâtiments en bordure de canal. Ces chocs accélèrent le vieillissement des structures en attaquant le mortier qui scelle les pierres. Et si le trafic en nombre de bateaux grossit, cela amplifie encore le phénomène de remous. Or, on le sait, Venise est déjà fragilisée pour plein d’autres raisons, notamment la hausse du niveau des eaux, conséquence du changement climatique.
Tout ce petit monde est donc maintenant surveillé, dans le cadre d’un programme d’apaisement de la circulation et de protection du bâti.
Et oui ! 70 dispositifs ont été installés cet été, intégrant les radars habituels avec détection infrarouge pour la nuit, mais aussi des caméras de surveillance pour éviter les… sabotages. La vitesse est à présent limitée à 7 km/h. Finies les démonstrations d’agilité sur l’eau pour épater les touristes !
Voilà donc 2 projets très différents mais qui ciblent la vitesse de circulation pour adresser des enjeux de l’évolution des villes.
C’est tout à fait cela. Ils montrent qu’en termes de mobilité dans les villes, rouler ou naviguer plus calmement est une solution simple avec de multiples bénéfices au-delà de la sécurité sur les voies. Cela préserve les ouvrages comme la santé des citoyens à travers des effets collatéraux positifs sur la pollution de l’air ou le bruit. Et participe même à la décarbonation si l’on prend en compte la limitation des émissions de gaz à effet de serre et la création d’un environnement plus favorable aux mobilités douces.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.