La semainière de Quentin Dickinson

Une semaine très britannique - Quentin Dickinson

Une semaine très britannique - Quentin Dickinson

Alors, avez-vous passé une bonne semaine ?

Oui, comme à chaque fois que, mis bout à bout, les faits, une fois rassemblés, paraissent conférer un sens et une direction à l’actualité.

Le mouvement, sans doute le plus notable, vient la semaine dernière, du Royaume-Uni, avec l’annonce-surprise de la démission de la Première ministre écossaise, Nicola STURGEON, démission-surprise, parce qu’aucune crise particulière ne la menaçait de l’extérieur, et qu’elle n’était pas davantage contestée au sein de son parti, le Parti national écossais, que n’importe quel dirigeant politique de premier plan.

Alors, pourquoi ce départ précipité ?

A la réflexion, Mme STURGEON a beaucoup en commun avec Jeanne d’ARC : depuis l’âge de seize ans (elle en a actuellement cinquante-deux), elle est entrée en politique à l’appel du mouvement indépendantiste, à l’époque plus folklorique que force politique. Devenue juriste compétente et redoutée, elle aura discrètement façonné les structures, l’organisation, et le développement du parti, dans l’ombre de son président, Alex SALMOND, à qui elle succédera tout naturellement. Le SNP, son parti, est aujourd’hui et de loin le premier en Écosse, et ses députés au parlement britannique à LONDRES constituent une force d’opposition que les gouvernements conservateurs et travaillistes ont appris à respecter.

Mais voilà : en dépit d’une indéniable position de force, Nicola STURGEON n’est pas parvenue à son seul véritable objectif : une Écosse indépendante et membre de cette Union européenne pour laquelle les Écossais avaient majoritairement voté. Car si les sondages sont aujourd’hui favorables à ce projet, l’écart reste toujours dans la marge d’erreur, et lancer un nouveau référendum (dont LONDRES ne veut pas entendre) serait un quitte-ou-double terriblement risqué.

Au bout de huit années à la tête du gouvernement régional écossais, Mme STURGEON, pour la première fois de sa vie militante, reconnaît implicitement son échec personnel, et laisse la place au successeur, qui sera élu par les adhérents du SNP le mois prochain, et qui, comme c’est l’usage Outre-Manche, cumulera les fonctions de chef de parti avec celles de chef de gouvernement.

Mais Nicola STURGEON n’est pas la seule Britannique à se trouver en fin de partie ces jours derniers ?

Bien plus discrètement, en effet, l’ancien patron du Parti travailliste, Jeremy CORBYN, a été assez brutalement remercié par son successeur, Sir Keir STARMER, qui lui retire sa carte du Parti et lui interdit de se présenter aux prochaines législatives, en tout cas sous la bannière travailliste.

Responsable d’une ribambelle d’échecs électoraux, M. CORBYN est une espèce de Jean-Luc MÉLENCHON à la sauce anglaise : ouvertement marxiste-léniniste, ouvriériste, admirateur de tout révolutionnaire latino-américain, ce tribun aux discours enflammés commençait à faire désordre dans un parti, donné gagnant aux législatives de l’an prochain. Le contraste avec son successeur ne peut pas être davantage marqué : ancien procureur général, M. STARMER s’est beaucoup montré avec son équipe, à DAVOS, lors du récent Forum économique mondial.

Et on ne quitte toujours pas le Royaume-Uni ?

Non, car le jeu de miroirs déformants se poursuit entre LONDRES et la Commission européenne sur le devenir du Protocole nord-irlandais. Le Premier ministre britannique Rishi SUNAK joue ces jours-ci une partie délicate : en déplacement à BELFAST, il a auditionné successivement les chefs des partis représentés à l’assemblée régionale, pour tenter de faire redémarrer le gouvernement de coalition, première condition pour faire accepter tout accord définitif avec BRUXELLES sur le commerce de marchandises entre l’Irlande du Nord et les autres parties du Royaume-Uni. Et cet accord est, à son tour, la clef qui autoriserait une normalisation des relations UE - Royaume-Uni.

A l’issue des pourparlers de M. SUNAK à BELFAST, les signes ne sont guère plus encourageants qu’auparavant : toute la mécanique institutionnelle et technique reste bloquée par l’inflexibilité du Parti unioniste démocratique, essentiellement anti-catholique et anti-européen, dont l’accord est incontournable.

Autre élément de la semaine dernière qui mérite d’être souligné ?

C’est la décision de l’OTAN de ne plus traiter de façon parallèle et inséparable les candidatures de la Finlande et de la Suède. En cause, le blocage de la candidature suédoise par la Turquie, qui réclame, pour prix de son accord, la remise à sa police de nombre d’opposants politiques turcs, réfugiés en Suède, de longue date pour la plupart, et qualifiés de terroristes par ANKARA. Les autorités suédoises ne peuvent évidemment pas se plier à ce chantage, d’où le découplage des candidatures des deux pays nordiques, dans l’attente de la résolution de ce bras-de-fer.

En bref, à surveiller cette semaine ?

Ne quittons pas tout-de-suite la Turquie. Le bilan du séisme se situe pour l’heure à 48.000 morts confirmées, et l’arrestation précipitée d’une centaine d’entrepreneurs en bâtiment n’aura en rien dévié la colère de la population des responsables administratifs et politiques qui ont conduit une politique de construction à tout-va d’immeubles résidentiels en zone touristique, au mépris des normes de stabilité dans une région connue pour son activité sismique.

Or, les grands groupes turcs de BTP sont souvent très proche du parti AKP du Président Recep Tayyip ERDOĞAN, ce que personne n’ignore dans le pays. Ce motif de suspicion, ajouté à l’impréparation et au déploiement chaotique des secours, pourrait bien annoncer une défaite cuisante à la présidentielle qui devrait se tenir au printemps.

On en est encore loin, et la prudence en la matière s’impose évidemment, mais la fin de l’ère ERDOĞAN ne provoquerait que peu de larmes dans les couloirs de l’Union européenne et de l’OTAN.

L'équipe

Entretien réalisé par Laurence Aubron.