La semainière de Quentin Dickinson

La semainière de Quentin Dickinson

© belgium24.eu - Wikimedia Commons La semainière de Quentin Dickinson
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Retrouvez chaque semaine la semainière de Quentin Dickinson sur euradio. L'occasion de découvrir la diplomatie et l'actualité européenne sous un nouvel angle.

Alors, QD, qu’avez-vous retenu de ces derniers jours ?...

Vous ne m’en voudrez pas de répondre à une question générale par une question personnelle : est-ce que vous envisageriez de prendre votre retraite à quarante ans (pour les femmes) et à cinquante ans (pour les hommes) ? Parce que, oui, ce sera peut-être possible – mais à la double condition que vous soyez de nationalité polonaise et danseur (ou danseuse) professionnel du répertoire classique. En tout cas, la loi en ce sens a été adoptée par la chambre haute du Parlement polonais et doit maintenant être soumise à la chambre basse, où le gouvernement a l’intention de la combattre. Pour l’heure donc, prudentes, les danseuses-étoiles et leurs partenaires masculins gardent le champagne au frais. Mais le coût de l’opération pour l’État serait somme toute raisonnable, vu que cette catégorie professionnelle ne compte qu’à peine plus de 400 personnes.

Quittons maintenant les tutus et les entrechats, car cette semaine, QD, vous voulez mettre le doigt sur un exemple de gestion des contraires en politique…

Le casse-tête du moment, c’est : que faire de la Turquie ? D’un côté, rares sont ceux, dans les chancelleries européennes, à trouver sympathique et chaleureux le Président turc, Recep Tayyip ERDOĞAN, et l’embastillement de son principal concurrent à la prochaine élection présidentielle ne plaide pas pour son respect immodéré du principe de la séparation des pouvoirs.

Objectivement, on ne peut donc que trouver parfaitement fondée l’ire des centaines de milliers de citoyens turcs qui descendent dans la rue pour protester contre l’arrestation - un rien politique - de leur candidat.

Mais voilà : M. ERDOĞAN a bien choisi son moment : il n’ignore pas qu’il possède une des plus solides armées de l’OTAN, et il sait que celle-ci est quasi-indispensable à la coalition des pays volontaires à l’émergence d’une structure de défense paneuropéenne autonome, à laquelle travaillent en ce moment Français, Britanniques, et Allemands, principalement.

Alors, il ne faut pas s’étonner de l’exquise discrétion des réactions ici, tant de la part des institutions européennes que du côté de l’OTAN. Il paraît que cela s’appelle de la Realpolitik et qu’il est normal que ce ne soit pas particulièrement glorieux.

Les esprits trublions ne s’empêcheront pas de penser que l’exemple du saccage des institutions fédérales américaines et les tentatives d’instrumentalisation de la justice par Donald TRUMP a pu en quelque sorte donner une incitation, assortie d’un feu vert moral, à M. ERDOĞAN – et à d’autres.

Et, les beaux jours désormais revenus, vous allez aborder pour nous les flux touristiques…

C’est exact. Chacun connaît les mises en garde du Quai-d’Orsay, publiées en fonction de la situation géopolitique, qui appellent l’attention des touristes français qui voudraient se rendre dans tel ou tel pays (citons au hasard, l’Afghanistan, la Birmanie, ou la Russie), sans bien en mesurer les risques.

La nouveauté, ce sont les ministères des Affaires étrangères de l’Allemagne et du Royaume-Uni (chacun de son côté) qui invitent leurs ressortissants à la plus grande prudence s’ils comptent se rendre aux États-Unis. C’est que la réglementation des visas vient d’être notablement durcie par Donald TRUMP – un séjour qui dépasse la validité du visa, et c’est la prison immédiate, en attendant que vous vous trouviez un avocat.

Les décisions ont toujours des conséquences (comme aimait à le dire Michel BARNIER à propos du Brexit) : les décisions ont toujours des conséquences, et donc on ne s’étonnera pas de l’effondrement des recettes touristiques aux États-Unis depuis la réélection de M. TRUMP. Pour être précis, le rapport de l’organisation étatsunienne Tourism Economics prévoyait pour 2025 une augmentation de 8,8 % du nombre de touristes étrangers ; cette prévision vient d’être revue assez massivement à la baisse – on devrait en fait enregistrer un déficit de plus de 5 %.

Et, s’agissant de déficit dans le secteur du tourisme, l’année dernière aura vu la hausse du nombre de touristes américains voyageant hors de leur pays, accompagnée d’une baisse de celui des touristes étrangers venus aux États-Unis. Les seconds sont aussi nettement moins nombreux que les premiers.

Enfin, vous avez revu Enrico LETTA…

Vous savez tout - en effet, l’ancien chef du gouvernement italien était de passage à BRUXELLES, voici quelques jours. Fidèle au rapport collectif qui porte son nom, il a à nouveau (et utilement) insisté sur la mobilisation de l’épargne, principalement privé, pour soutenir l’innovation, la réindustrialisation, et, désormais, la défense. Chaque année, rappelle-t-il, ce sont 300 milliards d’Euros d’épargne européenne qui filent aux États-Unis au profit d’entreprises américaines…qui en profitent pour venir acheter des entreprises européennes. « C’est », assène Enrico LETTA, « une forme de suicide ». Voilà, c’est dit.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.