Arnaud Wittmer est doctorant en économie et marché du travail à l'Université de Strasbourg. Sur euradio, il analyse chaque mois une actualité économique de l'Union européenne.
Arnaud Wittmer : J’aimerais vous parler de la variation des taux d’intérêts directeurs, vous expliquer le pourquoi et le comment de ces variations, et enfin de la raison pour laquelle ça vous concerne plus ou moins directement !
Romain L'Hostis : Ça a été évoqué récemment non ?
A. W. : Oui ! Christine Lagarde a annoncé, début juin, que les trois taux d’intérêts directeurs allaient baisser, chacun de 0.25 points, pour atteindre respectivement 3,75%, 4,25% et 4,50%. Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, j’aimerais recontextualiser un peu ; le taux d’intérêt directeur, c’est un outil de la banque centrale, qui représente le taux auquel la banque centrale va prêter de l’argent aux banques commerciales.
R. L. : Une banque commerciale ?
A. W. : Oui, c’est-à-dire celle à laquelle vous personnellement, allez-vous adresser. Si vous avez besoin d’un prêt, vous allez parfois demander à de la famille, à des amis, mais la majorité du temps, vous allez vous adresser à une banque. Et les banques commerciales sont des banques comme le Crédit Mutuel, la Société Générale, LCL, etc etc… C’est un peu votre interlocutrice avec la Banque Centrale, car vous ne pouvez pas contracter un prêt auprès d’elle. La Banque Centrale, elle, est en haut de la pyramide. Sa politique et son taux d’intérêt directeur vont avoir un impact sur les banques commerciales.
R. L. : Donc en France, c’est la Banque Centrale de France qui va définir les taux d’intérêts directeurs ?
A. W. : C’est là que ça se complique ; « rires » pas tout à fait. La monnaie qu’on utilise en France, c’est l’euro. Et l’euro n’est pas utilisé uniquement en France. 20 des 27 pays de l’Union européenne l’utilisent tous les jours, donc un seul pays ne peut pas définir le taux d’intérêt directeur pour tous les autres pays.
R. L. : D’accord, donc les banques commerciales sont les interlocuteurs auxquels nous pouvons nous adresser pour obtenir un prêt, et elles sont elles-même impactées par les décisions de la BCE?
A. W. : Tout à fait. La BCE, ou Banque Centrale européenne, va définir ce fameux taux d’intérêt directeur qui détermine le taux d’intérêt de toutes les banques commerciales de la zone euro. Et cette variation impactera directement votre demande de crédit pour une voiture, une maison, ou tout autre investissement.
R. L. : Et actuellement, ce taux d’intérêt se situe où ?
A. W. : Celui qui nous intéresse (parce-qu’il y en a plusieurs), c’est le taux des opérations principales de refinancement (c’est-à-dire le taux auquel les banques commerciales peuvent emprunter à la Banque centrale), et il est à 4,25%. A titre de comparaison, celui de la FED (pour le dollar) est à 5,25%. C’est assez impressionnant. Il a rarement été aussi élevé, en sachant qu’entre 2016 et juillet 2022, il était à 0%.
R. L. : Mais alors comment expliquer un taux aussi élevé alors?
A. W. : Il y a quelques explications. D’abord, un effet de retour de balancier. Des taux d’intérêt directeurs aussi bas que ceux de 2016 relèvent davantage de l’anomalie que de la norme. De la même manière, des taux aussi hauts que ceux de ces deux dernières années sont rares. Ensuite, la mission principale de la banque centrale européenne, et vous avez déjà probablement entendu cette expression au moins une fois, c’est la stabilité des prix ; la BCE ne veut pas que l’inflation dépasse 2%. Or, l’inflation c’est l’instabilité des prix. Les deux dernières années, elle était d’environ 5%. Du coup, on augmente les taux.
R. L. : Une décision un peu arbitraire, non ?
A. W. : Effectivement, ça l’est, en parti. Cette règle se base sur une logique libérale (par opposition notamment, mais pas uniquement, à la logique keynésienne). Pour la redéfinir rapidement, l’inflation, c’est l’augmentation généralisée des prix. Si on a une inflation d’environ 5%, cela veut dire que les choses que vous achetez au quotidien coûteront en moyenne 5% de plus. Donc l’argent vaut moins.
R. L. : Et pourquoi est-ce que l’inflation pose problème à la BCE alors ?
A. W. : L’inflation ne pose pas directement un problème à la BCE, mais surtout aux autres acteurs économiques ; une banque prend un risque lorsqu’elle vous prête. Un investisseur prend un risque lorsqu’il prête de l’argent à une entreprise. Parce-que vous pourriez ne pas rembourser, mais aussi parce-que la valeur de l’argent change. Si vous avez emprunté à taux fixe en 2019, avec l’inflation d’aujourd’hui, la banque perd de l’argent. Si un investisseur prête à une entreprise, sous formes d’actions par exemple, et que l’inflation est plus importante que la rémunération, il perd également de l’argent. En fait, ce n’est pas l’inflation en elle-même qui pose problème, c’est la variation de l’inflation. On passe, après quinze ans, d’une période de stabilité des prix à une période d’instabilité des prix. Et les investisseurs et les banques n’aiment pas l’instabilité. La BCE va donc essayer de ralentir la hausse de prix en augmentant le taux d’intérêt directeur. Elle espère que cette hausse ralentira la consommation à court terme, et donc l’inflation. Ensuite, elle baissera à nouveau les taux d’intérêts.
R. L. : Ralentir l’économie n’a pas d’autres conséquences?
A. W. : Si bien sûr. Une augmentation du taux d’intérêt veut aussi dire un ralentissement de l’activité économique. Lorsqu’on prête moins, on investit aussi moins. Si on investit moins, l’activité ralentit. Si l’activité économique ralentit, les entreprises peuvent être amenées à licencier des employés, qui eux-mêmes ne pourront pas consommer, et donc ralentiront également l’activité économique. Le philosophe canadien Laurence Peter disait de l’économiste qu’il était un expert qui saura demain pourquoi ce qu’il avait prédit hier ne s’est pas passé aujourd’hui. Comme la BCE qui choisit de lutter contre l’incertitude en favorisant la stabilité des prix, l’Union européenne choisit de lutter contre l’instabilité de la pensée économique en privilégiant les solutions passées. A tort ou à raison, la BCE a un outil, le taux d’intérêt directeur, pour mener son unique mission, maintenir le taux d’inflation à 2%.
R. L. : Une dernière question ; tout ça est plutôt clair, mais comment peut-on expliquer que nos crédits ne correspondent pas exactement au taux de la BCE?
A. W. : Parce-que les banques commerciales gardent une certaine marge de manœuvre. Après tout, elles sont en concurrence les unes avec les autres ; votre prêt, vous pouvez le contracter n’importe où. Si elle peut se le permettre, elle prêtera à un taux moins important. Mais en général, cela ne varie jamais bien loin du taux d’intérêt directeur. Les banques tirent leur revenu des frais de tenue de compte, des honoraires qu’elles font payer pour les services qu’elles proposent, et surtout, des intérêts générés par les crédits. Si une banque ne prête pas, elle gagne moins d’argent.
R. L. : Merci beaucoup Arnaud, et à bientôt pour une nouvelle chronique économie.