Elisa Camia, consultante junior en affaires publiques, est spécialisée dans les relations entre l’UE et la Chine, notamment aux niveaux économique et géopolitique. Elle revient chaque mois sur euradio sur les relations euro-chinoises.
Bonjour Elisa, aujourd’hui vous allez nous parler de comment la Chine utilise la diplomatie et la Méditerranée pour atteindre ses objectifs internationaux.
Depuis l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir en 2013, la diplomatie chinoise s’est intensifiée dans plusieurs régions du monde, y compris le bassin méditerranéen. Cette dynamique se traduit par une augmentation des investissements, des prises de participation dans plusieurs ports stratégiques et l’intégration de plusieurs pays méditerranéens au projet des Nouvelles Routes de la Soie. Ces actions s’inscrivent dans une logique d’expansion économique et diplomatique, visant à renforcer la présence chinoise en Méditerranée.
Et donc, comment la Chine adapte-t-elle sa stratégie diplomatique et économique en Méditerranée ?
Contrairement aux perceptions européennes, la Chine ne considère pas la Méditerranée comme une entité géopolitique homogène. Dans sa diplomatie, elle privilégie une approche fragmentée, en distinguant notamment l’Europe du Sud et l’Afrique du Nord. Cette segmentation repose sur une organisation administrative compartimentée, où chaque sous-région est traitée indépendamment selon ses propres enjeux stratégiques et économiques. Les relations chinoises avec les pays méditerranéens s’organisent principalement autour de mécanismes de coopération régionale existants. Pour l’Europe du Sud, la Chine a mis en place un cadre de dialogue avec plusieurs pays clés comme l’Italie, la Grèce, l’Espagne et le Portugal, axé sur les infrastructures, le commerce et les investissements. Dans le cas de l’Afrique du Nord, les interactions s’inscrivent dans des forums plus larges comme le Forum on China-Africa Cooperation (FOCAC).
Pour Pékin, les forums régionaux sont un levier parmi d’autres pour restructurer la gouvernance mondiale, priorité de la diplomatie sous Xi Jinping.
En quoi les forums régionaux et les nouvelles institutions créées par la Chine contribuent-ils à la stratégie chinoise ?
Au-delà de son intégration aux institutions existantes, la Chine multiplie les initiatives : revitalisation de forums, comme le « Forum of Marine Cooperation between China and South European Countries », qui regroupe six pays d’Europe du Sud (Italie, Espagne, Portugal, Grèce, Chypre, Malte) et la Chine, dans le but de renforcer la coopération dans divers secteurs, dont le secteur maritime, qui est strictement liée au déploiement de la Nouvelle Route de la Soie. Ainsi, avec également la création de nouvelles institutions comme la Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures (BAII), la Chine ne cherche pas une stratégie spécifique à la Méditerranée, mais utilise la région pour renforcer son influence globale.
Dans le cadre de la Nouvelle Route de la Soie, la Chine adopte une politique d’investissement susceptible d’inclure tous les ports de la région, y compris ceux situés à proximité. Elle n’exclut d’ailleurs pas d’investir en Tunisie, par exemple. Cela illustre bien que, malgré la création de forums régionaux et sous-régionaux, la Chine les utilise avant tout pour servir ses propres intérêts.
Et concernant la voie maritime de la Nouvelle Route de la Soie, la Chine investit-elle seulement dans les ports ?
En plus de ses investissements dans les infrastructures maritimes, la Chine s’est tournée au fur et à mesure vers un autre élément clé du secteur maritime : les câbles sous-marins. Ces investissements s’intensifient dans le cadre des Nouvelles Routes de la Soie, dont le plan d’action de mars 2015 identifie explicitement les télécommunications, et en particulier les câbles sous-marins, comme une priorité. Cette orientation a été réaffirmée en juin 2017 dans le plan dédié à la dimension maritime du projet.
Donc la Chine a construit des câbles dans la Méditerranée.
En Méditerranée, Huawei Marine Networks, spécialiste chinois de l’installation et de la maintenance des infrastructures sous-marines, a joué un rôle clé dans le déploiement de câbles Internet. En 2009, l’entreprise a installé le câble Hannibal reliant la Tunisie à l’Italie, suivi en 2010 d’un autre câble connectant la Libye à la Grèce. Pékin a longtemps considéré ces infrastructures comme un élément central des nouvelles routes de la soie, et donc de sa stratégie d’expansion économique et géopolitique.
Cette approche a permis à Huawei de capter 15% du marché mondial des câbles sous-marins en 2019. Mais, les sanctions imposées par l’administration Trump ont freiné cette expansion. Malgré cela, la concurrence entre équipementiers ne cesse de s’intensifier.
Peut-on affirmer que les câbles sous-marins jouent désormais un rôle important dans les rapports de force géopolitiques ?
Cela illustre à quel point les rapports de force peuvent être rapidement bouleversés. L’annonce par la Chine du développement d’un robot capable de sectionner les câbles sous-marins souligne l’importance stratégique de ces infrastructures. Couper des câbles énergétiques ou des connexions Internet pourrait devenir un levier majeur dans les conflits contemporains.
Le sabotage de plusieurs câbles sous-marins en mer Baltique depuis le début de la guerre en Ukraine en est un exemple. Il est également essentiel de rappeler que la diplomatie chinoise sert un objectif central : affirmer la suprématie de la Chine face aux États-Unis.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.