L'éco, du concept au concret

Trump et le mercantilisme américain

© New York, Metropolitan Museum of Art Trump et le mercantilisme américain
© New York, Metropolitan Museum of Art

La chronique "L'éco, du concept au concret" part d'une idée simple : éclairer l'actualité économique et la rendre plus accessible avec Arnaud WITTMER, une fois par mois.

Bonjour Arnaud ! Avec le retour de Trump à la Maison Blanche en janvier dernier, on se doutait déjà que les droits de douane allaient redevenir un sujet d’actualité. Mais les annonces d’il y a quinze jours m’ont laissé perplexe, et j’ai l’impression de ne pas être la seule !

C’est en effet une image très très forte ; celle de Trump avec son tableau en main, grand sourire, le deux avril dernier, présentant de nouveaux tarifs douaniers à l’encontre du monde entier basés des calculs économiques plus que douteux.

Comme souvent, nous ne sommes pas très sûrs de son objectif, politique ou économique. De nombreuses tribunes et chercheurs ont déjà discuté de la question, et je ne vais pas trop m’attarder sur ce sujet là.

Par contre, un nouveau mot a fait son apparition pour qualifier la pensée économique de Donald Trump ; celui de mercantilisme, ou même de néo-mercantilisme. Et ça, c’est intéressant.

Sa politique a déjà été décrite comme isolationniste, ou protectionniste. Mais mercantiliste, par contre, nous ramène à une très vieille conception du commerce international.

Si on revient au protectionnisme, les Etats-Unis ne sont pas le seul pays du monde à l’être, et je crois que vous l’aviez d’ailleurs déjà évoqué avec nous !

Oui, tout à fait. La crise du COVID et la guerre en Ukraine ont rappelé aux européens quelque chose dont la Chine et les Etats-Unis étaient encore pleinement conscients ; il existe des industries stratégiques où il fait bon de rester indépendant, quelque soit les règles du commerce international. Pour cela, il faut les protéger.

Et lorsqu’on doit créer ces industries à partir de rien, on peut utiliser aussi le protectionnisme de façon transitoire. Par exemple, si l’UE décidait collectivement demain de créer un champion européen dans un domaine particulier, il ne pourrait pas survivre sans soutiens et subventions face à la concurrence internationale - au moins dans un premier temps.

Mais le protectionnisme tel qu’utilisé au XXIe siècle ne remet pas fondamentalement en question l’importance du commerce international.

Et le mercantilisme, si?

Le mercantilisme, c’est une version plus ancienne et plus agressive de protectionnisme. Le mot est utilisé à l’origine par Adam Smith au XVIIIe siècle pour rassembler certains de ses prédécesseurs et leurs pensées économiques.

En fait, il s’est servi de ces adversaires qu’il a désigné lui-même afin de mettre en valeur ses propres arguments, comme Aristote l’avait fait avec les sophistes.

Donc les auteurs avant Smith ne s’estimaient pas eux-mêmes mercantiles?

Non, le courant est défini à posteriori. Malgré ça, les économistes considérés comme mercantiles par Adam Smith ont quelques points communs.

D’abord, l’élément le plus important, c’est que le commerce international serait un jeu à sommes nulles. Il y aurait des gagnants, et des perdants.

Prenons un exemple ; au XVIIe siècle, Colbert, alors ministre français sous Louis XIV, défendait à son roi que le commerce européen était composé de « 20000 vaisseaux de tous les pays et que l’on tombera facilement d’accord que ce nombre ne peut pas être augmenté ».

Si les anglais commerçaient avec 15000 navires, et les français avec 5000, le seul moyen pour les français de commercer davantage serait de prendre une partie du commerce aux anglais.

Et on retrouve ces éléments de langage dans la bouche de Trump. L’Union européenne aurait « volé » une partie des richesses américaines ces dernières décennies. Et les droits de douane permettraient de « rendre » cette richesse.

Et on ne peut pas créer plus de richesse?

Selon Adam Smith, si. C’est d’ailleurs l’un de ses apports les plus importants. Si deux pays se spécialisent chacun dans la production du bien où ils sont le plus efficaces, il va se dégager une valeur supplémentaire. C’est celle qui ne sera pas utilisée dans la production du bien où chaque pays est le moins efficace.

C’est quelque chose qui aujourd’hui est relativement évident. Commercer avec ses partenaires augmente la richesse globale, et on peut d’ailleurs le constater en observant la croissance du PIB mondial ces derniers siècles.

Donc, le mercantilisme, c’est l’idée que le commerce international est limité. Et ensuite?

Ensuite, un autre élément important du mercantilisme, c’est l’environnement politique de l’époque.

Le mercantilisme se développe avec les monarchies absolues. Les Etats, sous l’autorité du roi, commencent à centraliser le pouvoir, et ont besoin de ressources économiques importantes pour gérer les affaires du royaume ou mener des guerres.

Ces ressources économiques peuvent être obtenues de plusieurs manières ; par le commerce - mais seulement si on est exportateur net - et par les tarifs douaniers.

Donc, la mise en place des tarifs douaniers remplit un double objectif ; celui de lever des fonds pour le royaume, et celui de protéger les industries nationales de la compétition étrangère. Car, dans le système mercantile, on veut importer le moins possible, et exporter le plus possible. Les tarifs douaniers vont alors permettre de réduire la valeur des importations.

Sauf que ce sont les consommateurs qui supportent ce coût.

Tout à fait. Et c’est un point qui a été rapporté encore et encore à la Maison Blanche, pour le moment sans succès. Et enfin, le mercantilisme est contemporain du colonialisme. Les auteurs mercantiles défendaient alors le concept « d’exclusif colonial ». Les colonies ne devaient importer des biens que de la métropole. Et les métropoles ne devaient importer des produits que depuis les colonies. Ce qui justifiait l’agrandissement du territoire colonial, puisque si on ne s’agrandissait pas, c’est notre adversaire qui allait le faire.

Donc pas mal de points communs entre Trump et le mercantilisme.

Oui, et au final, c’est ça que je trouve fascinant avec l’idée que l’on puisse définir Trump comme tel.

D’abord, c’est une forme d’insulte. Une insulte parce-que dire de Trump qu’il est mercantile, c’est le comparer à un équivalent de néandertal économique, qui fait appel sans le savoir à des concepts vieux de plusieurs centaines d’années. Il n’est même plus protectionniste, il est mercantile.

Ensuite, c’est une insulte à sa vision des relations internationales. Quand on entend JD Vance dire que « les Etats-Unis empruntent de l’argent aux paysans chinois pour acheter les choses que produisent ces paysans chinois », c’est faire appel à un ancien imaginaire ; celui que le monde est coupé en deux, entre des pays industrialisés colonisateurs et des pays colonisés principalement agricoles.

Tout ça dans un seul terme, et je trouve ça vraiment incroyable !

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.