Michel Derdevet, président du think tank Confrontations Europe revient dans cette chronique hebdomadaire sur les dernières publications de son organisation, notamment de sa revue semestrielle. Énergie, numérique, finances, gouvernance européenne, géopolitique, social, les sujets d'analyse sont traités par des experts européens de tout le continent dont le travail est présenté par Michel Derdevet.
Confrontations Europe a publié un article de Christophe Béguinet, Mohamed Es-Sbai et Jacques Percebois analysant le Plan d’action pour une énergie abordable, présenté par la Commission européenne en février dernier. Dans cet épisode, Michel Derdevet revient sur la nécessité de concilier transition énergétique et prix abordables pour les consommateurs, et les leviers que l’Union européenne peut activer en ce sens.
La crise énergétique à la suite de la guerre en Ukraine, en 2022-2023, a mise en avant les fragilités du modèle énergétique européen. Quelles sont-elles ?
Les coûts de l’énergie sont plus élevés dans l’Union européenne que dans le reste du monde, mais en 2022 et 2023, les prix du gaz ont parfois été multipliés par 10. La principale explication est bien sûr la dépendance européenne aux importations d’énergies fossiles. Même si les importations russes ont été drastiquement réduites, elles ont dû être remplacées, notamment par du gaz provenant des Etats-Unis et du Qatar.
La crise énergétique a aussi mis en avant le manque d’intégration des marchés de l’énergie et des réseaux européens. Les interconnexions électriques restent limitées, ce qui empêche un bon partage des énergies renouvelables en Europe. En plus de ça, il y a un retard dans le développement des infrastructures de transport et de stockage du gaz, que ça soit le gaz naturel, mais surtout le gaz naturel liquéfié, le GNL.
La question des interconnexions est donc primordiale pour soutenir la diversification énergétique. En plus du renforcement des infrastructures existantes, il faut aussi développer de nouveaux réseaux pour les énergies en progression, comme l’hydrogène, la chaleur locale et le captage de carbone.
Quelles sont les mesures phares du Plan d’action pour une énergie abordable de la Commission ?
Ce Plan d’action présente une triple ambition : garantir des prix stables et abordables, renforcer la sécurité d’approvisionnement, et sécuriser les investissements nécessaires à la transition énergétique.
Pour réduire les coûts de l’énergie, le Plan prévoit plusieurs réformes, notamment la révision des taxes énergétiques. Actuellement, la fiscalité est relativement plus élevée sur l’électricité que sur d’autres vecteurs plus émetteurs de CO2. Or, en France, par exemple, l’électricité est décarbonée à 95%. C’est donc important que les taxes énergétiques privilégient l’électrification des usages plutôt que les énergies fossiles.
Pour renforcer la sécurité des approvisionnements, la Commission propose de généraliser les achats groupés de gaz, mais aussi d’hydrogène et de matières premières critiques. Ça permet de limiter la concurrence entre les Etats membres et de renforcer le pouvoir de négociation de l’Union. Le Plan d’action encourage aussi les contrats à long terme, qui permettent de stabiliser les recettes des producteurs, et donc limiter la volatilité des prix. Ces outils garantissent des approvisionnements fiables, tout en renforçant la souveraineté économique européenne.
Plus généralement, la Commission veut améliorer la résilience de l’Europe face aux crises énergétiques en créant un cadre européen de préparation aux crises. L’idée est de privilégier une action préventive collective et coordonnée pour anticiper toute future crise. Ça suppose plusieurs choses : un renforcement du stockage et des infrastructures, mais aussi une capacité budgétaire adaptée, qui nécessite de l’investissement public.
Quelles sont les limites du Plan d’action et comment les surpasser ?
Le Plan d’action incite les investissements dans le domaine énergétique, mais ces incitations restent partielles et peu coordonnées. Les investissements requis sont massifs, ils doivent être mieux fléchés pour être réellement efficaces. Ça serait notamment intéressant de concentrer les investissements de la Banque européenne d’investissement et de ses partenaires nationaux vers certains secteurs stratégiques.
D’ailleurs, le Plan d’action repose principalement sur des dépenses publiques nouvelles, ce qui suppose une forte solidité budgétaire. Or, pour qu’elles puissent être assurées, il faudrait repenser les instruments fiscaux existants. Comme les recettes issues des énergies fossiles sont amenées à décroître, la pression sur les finances publiques va, elle, augmenter. Elargir les bases fiscales semble donc primordial pour continuer à assurer le financement adéquat à la transition énergétique.
Plus généralement, des ajustements à ce Plan d’action sont encore nécessaires pour assurer la soutenabilité, l’efficacité et l’équité de la transition. Les auteurs de cet article suggèrent par exemple la création d’une structure dédiée à la planification et au financement stratégique de la transition énergétique, pour mieux coordonner et orienter les investissements.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.