Les femmes ou les "oublis" de l'Histoire

Rosalind FRANKLIN

Rosalind FRANKLIN

Avec sa chronique Les femmes ou les "oublis" de l'Histoire, Juliette Raynaud explore "les silences de l'Histoire" (Michelle Perrot) et nous invite à (re)découvrir notre matrimoine oublié, une histoire après l'autre...

Vous connaissez Rosalind Franklin ?

Génie de la biologie moléculaire, elle découvrit la forme de l’ADN au début des années 1950. 10 ans plus tard, ses trois collègues masculins reçurent le prix Nobel de médecine pour cette découverte.

Le biologiste est un exemple de ce qu’on appelle en sociologie “l'effet Matilda”, ce phénomène qui désigne l’accaparement des recherches et découvertes des femmes scientifiques par des hommes. Un concept forgé par l’historienne des sciences Margaret Rossiter au début des années 1980 en femmage à la militante féministe Matilda Joslyn Gage qui, dès la fin du XIXe, avait remarqué qu’une minorité d’hommes avaient tendance à s’accaparer la pensée intellectuelle de femmes.

Rosalind Franklin naît en 1920 dans une famille de la grande bourgeoisie londonienne. En 1945, elle obtient un doctorat en chimie de l’Université de Cambridge.

Elle entre au Laboratoire Central des Services Chimiques à Paris. Elle travaille à la détermination des structures du carbone en utilisant des techniques de diffractométrie aux rayons X. Ses travaux sur la porosité du charbon contribuent à la classification des charbons et à la détermination de leur intérêt industriel.

En découvrant la problématique de l’ADN, elle se passionne pour le sujet et mobilise ses compétences de cristallographe pour l’appliquer à cet autre sujet. Elle change de domaine de recherche en milieu de carrière.

En 1951, Rosalind prend un poste au King’s College à Londres et travaille avec le physicien Maurice Wilkins. Ses premières recherches réfutent les modèles d’ADN établis par Wilkins. Leur relation se détériore rapidement…

Grâce à sa maîtrise des techniques de diffractométrie aux rayons X, Rosalind Franklin détermine la structure hélicoïdale, en forme d’hélice, de l’ADN. Le cliché 51, à l’origine de ces déductions, va devenir primordial pour les recherches menées par James Watson et Francis Crick sur le sujet : on y distingue les deux hélices, nommées A et B.

Rosalind Franklin avance vite, travaille bien et (donc ?) s’entend mal avec ses collègues, au point qu’on lui pose un ultimatum : arrêter ses travaux sur l’ADN ou partir. Elle choisit l’option n°2 et quitte le King's College en mars 1953. Direction le Birckbeck College. Alors qu’elle est contrainte de laisser ses travaux sur l'ADN derrière elle, James Watson et Francis Crick publient leur modèle dans Nature en avril 1953, en la remerciant tout de même, sur l’insistance de Maurice Wilkins.

Au Birckbeck College, toujours à l’aide de la diffractométrie aux rayons X, Rosalind Franklin étudie les virus et pose les bases de la virologie structurale, en étudiant la façon dont va s’assembler un virus à partir d’une molécule d’ARN.

En 1962, le prix Nobel de médecine est attribué à trois hommes, ses trois collègues, James Watson, Francis Crick et Maurice Wilkins, pour la découverte de la structure en double hélice de l’ADN. Rosalind Franklin est morte 4 ans plus tôt, en avril 1958, des suites d’un cancer probablement dû à sa surexposition aux radiations. Le Nobel ne peut être remis à titre posthume, mais Rosalind Franklin a, de toute façon, été en grande partie évincée de sa découverte.

Dans les discours de remerciement des trois Nobel, seul Maurice Wilkins la cite en indiquant qu’elle a apporté une contribution précieuse - et de fait : c’est sa découverte ! Francis Crick et James Watson l’oublient sciemment. Pire, ce dernier, 10 ans après la mort de la chercheuse, la décrit comme acariâtre dans son best-seller “La Double Hélice”. Il faudra attendre une interview en 2003, pour qu’il reconnaisse finalement que Rosalind Franklin aurait mérité le prix Nobel “elle aussi”...