Avec sa chronique Les femmes ou les "oublis" de l'Histoire, Juliette Raynaud explore "les silences de l'Histoire" (Michelle Perrot) et nous invite à (re)découvrir notre matrimoine oublié, une histoire après l'autre...
Vous connaissez Anna Jaclard ?
Aristocrate rebelle, militante féministe avant l'heure, elle fut une figure incontournable de la Commune de Paris. Ecrivaine, traductrice, ambulancière, soldate, elle fut un des piliers de l’Union des Femmes pour la Défense de Paris aux côtés de Louise Michel.
Anna Korvine-Kroukovskaïa naît en 1844 à Saint-Pétersbourg. Son père est général des armées impériales et grand propriétaire terrien. Elle et sa sœur Sofia - Sofia Kovalevskaïa qui deviendra la première femme docteure en mathématiques - elle et sa soeur donc, s’intéressent aux idées socialistes, comme toute une génération d’aristocrates russes qui découvre le « Que faire ? » de Nikolaï Tchernychevski (qui inspirera Lénine).
Anna écrit. Fiodor Dostoïevski publie sa nouvelle « Le Rêve » sous un pseudonyme masculin dans sa revue « l’Époque ». Tombé sous le charme de la jeune autrice, il la demande en mariage mais Anna a 20 ans et d’autres projets que de devenir l’épouse du plus grand écrivain russe.
En 1868, elle part à Paris étudier la condition ouvrière. Elle trouve un emploi dans une imprimerie, fréquente des blanquistes et adhère à l’Organisation Internationale du Travail. Sur la demande de Karl Marx, elle traduit en russe l’adresse inaugurale de la Ière Internationale.
Parmi les blanquistes parisiens qu’elle fréquente alors, Victor Jaclard lui plaît tout particulièrement. Professeur de mathématiques, il a participé à l’évasion d'Auguste Blanqui en 1865 et a été exclu pour deux ans de toutes les universités de Francepour avoir "encouragé les idées socialistes et athées". En 1870, harcelé par la police de Napoléon III, le couple s’exile en Suisse jusqu’à la défaite de Sedan.
Anna revient à Paris pour participer à la Commune qui, fidèle à la tradition internationaliste de 1848, encourage officiellement la participation des étrangers et des étrangères en érigeant en principe leur citoyenneté française : « le drapeau de la Commune est celui de la République universelle ».
Le 18 mars 1871, à Montmartre, Anna Jaclard, membre du comité de vigilance du 18e arrondissement, se tient aux côtés de Louise Michel. Avec André Léo, elle crée le journal La Sociale et corédige dans la foulée l’Appel des citoyennes de Montmartre.
« Au temps où nous sommes, c’est l’idée plus que la force du bras qui gagne les batailles ! ».
Les femmes de la Commune, Anna en tête, réclament une nouvelle pédagogie pour les enfants des classes populaires. Elle coordonne l’enseignement laïque dans les écoles de filles pour déloger les congréganistes et promouvoir une véritable école de la République.
Elle est aussi l’une des militantes les plus actives de l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés, qui obtient l’égalité des salaires et le droit de remettre en activité les ateliers abandonnés par les industriels.
« Nos ennemis, ce sont les privilégiés de l’ordre social actuel, tous ceux qui ont toujours vécu de nos sueurs, qui toujours se sont engraissés de notre misère. Nous voulons le travail mais pour en garder le produit, le gouvernement du peuple par lui-même, la Commune. »
Ambulancière, Anna Jaclard devient soldate le 21 mai 1871, comme des milliers d’autres femmes, et, fusil au poing, défend les barricades face aux versaillais. Elle arrive à échapper au massacre (appelé « Semaine sanglante ») et est condamnée par contumace aux travaux forcés à perpétuité.
Fuyant Paris, elle et son mari sont accueillis par Karl Marx à Londres. Anna y commence la traduction russe du Capital avant de retourner en Russie puis, après l’amnistie, à Paris, où elle meurt le 12 octobre 1887.
Une rue du 12e arrondissement de Paris porte son nom.