Il était une fois l'Europe

Le 19 septembre 1946

Photo de Marcos Pena Jr sur Unsplash Le 19 septembre 1946
Photo de Marcos Pena Jr sur Unsplash

Dans Il était une fois l'Europe, l'historien Sylvain Schirmann revient sur des dates emblématiques de l'Histoire de l'Europe toutes les deux semaines sur Euradio

Winston Churchill, héros de la victoire contre le nazisme, s’avance à la tribune de Université de Zurich.


Devant des centaines d’étudiants et de militants pro-européens, il lance un appel solennel : reconstruire la « famille européenne » et créer les « États-Unis d’Europe ».



Monsieur Schirmann, en septembre 1946, à Zurich, Winston Churchill appelle déjà à la réconciliation entre la France et l’Allemagne… Comment expliquer qu’à peine un an après la guerre, il aille aussi vite dans cette direction ?

Churchill est le premier des grands leaders du monde occidental à avoir compris qu’une nouvelle ligne de fracture venait d’apparaître en Europe entre une Europe orientale placée sous la tutelle soviétique et une Europe occidentale, une situation qu’il avait mis en évidence à Fulton en mars 1946 déjà devant des étudiants en expliquant qu’un rideau de fer de Stettin à Trieste était en train de couper l’Europe en deux. Le discours de Zurich est une réponse à cette division et à la menace soviétique.

Il faut en effet se souvenir que certains Etats européens basculent vers le modèle soviétique en 1945/1946 : la Yougoslavie de Tito, la Bulgarie, la Roumanie, la Pologne ; que l’Autriche est occupée par les Alliés et que l’Allemagne est soumise au régime des zones d’occupation, dont une à l’Est du pays est attribuée aux Soviétiques.

Le discours de Zurich est un appel à l'unité des Etats de l’Europe occidentale sur la base de valeurs que Churchill qualifie de « chrétiennes » dans son intervention. Cette unité doit déboucher sur une Organisation, « un Conseil de l’Europe » au centre duquel se trouverait un couple franco-allemand réconcilié, moteur de cette organisation. Cette organisation serait un partenaire naturel des Etats-Unis et du Commonwealth des nations britanniques pour défendre le monde libre.

Un an à peine après la fin du conflit… cette idée de réconciliation franco-allemande paraît presque impossible…
Et pourtant, elle va éveiller les consciences.


Sylvain Schirmann, pourquoi ce discours a-t-il autant marqué les esprits ? Et comment a-t-il été reçu à l’époque ?

Le discours est prémonitoire : il envisage une réconciliation franco-allemande comme indispensable si l’on veut aller vers une forme d’unité européenne à un moment où l’Allemagne n’existe pas comme Etat souverain et où ses principaux voisins rêvent davantage d’endiguement de l’Allemagne que de la voir se développer sur un pied d’égalité avec les autres. Il est prémonitoire car, alors que l’on n’en parle guère, il voit à la fois le nouveau danger pour l’Europe (le danger soviétique) et le remède (l’unité des Européens de l’Ouest, sur une base intergouvernementale). Le discours est porté par une voix forte, une conscience – Churchill a défendu ces valeurs en 1940 face à Hitler) - il s’adresse aux jeunes générations et les invite à s’engager pleinement dans cette aventure. Les deux discours (Fulton et Zurich) sont prononcés dans le cadre d’universités.

Mais sur le moment l’impact de ces discours est limité. Ils prendront de la résonnance avec le discours du Containment de Truman en mars 1947 et avec le Congrès de La Haye en mai 1948. Zurich a fait de Churchill un symbole d’incarnation européenne pour les européistes de l’époque.

Le 19 septembre 1946 à Zurich, Churchill n’a pas créé l’Europe, mais il a montré la voie : unir les Européens pour construire l’avenir.

Après le discours de Zurich, place au Discours de Harvard et le Plan Marshall, sujet de notre prochaine chronique.

Un entretien réalisé par Olivier Singer.