La série "les livres qui changent le cours d'histoire" sur euradio propose aux enseignants une courte présentation d'ouvrages de recherche universitaire en lien avec les programmes du collège et du Lycée. Conçues sur un format court et accessible, chaque notice fournit des clefs d’analyse (notions, concepts), des exemples précis et des documents pour les élèves.
Noémie Lemmenais : Professeure agrégée d'histoire et docteure en histoire romaine à l'université de Lille.
Le livre : Le métier de citoyen dans la Rome républicaine de Claude Nicolet
Dans Le Métier de citoyen dans la Rome républicaine, Claude Nicolet s’intéresse au quotidien du citoyen romain au-delà des seules élites qui retenaient l’attention des spécialistes à la fin des années 1970. Dans son chapitre sur le recensement (census), l’historien étudie les différentes positions occupées par les citoyens dans le corps civique de la Rome républicaine. Le recensement est cette procédure qui vise à répartir les citoyens dans les différentes classes censitaires et à déterminer leur rôle militaire et leur obligation fiscale. Le caractère proportionnel et inégal des droits et devoirs des citoyens romains – ce que Claude Nicolet propose d’appeler une « citoyenneté géométrique » – n’est pas la moindre des différences avec notre conception contemporaine de la citoyenneté. Ainsi, la participation politique du citoyen est corrélée au cens évalué lors du recensement, c’est‑à‑dire d’après la fortune et l’honorabilité des citoyens, elle-même estimée par les censeurs en fonction de la dignité (dignitas) attendue du citoyen romain et son respect de la coutume des ancêtres (mos maiorum).
Sous la République, cette inégalité se retrouve dans le vote des électeurs réunis dans les comices centuriates qui élisent les magistrats les plus importants de la cité. Ces comices sont divisées en 193 unités de votes (appelées centuries) : la plus grande part revient aux sénateurs et chevaliers ainsi qu’aux citoyens de « première classe » dont le cens est supérieur à 100 000 as (98 centuries). Les citoyens les moins aisés (cens inférieur à 75 000 as), pourtant majoritaires, doivent se contenter des votes restants. Le vote débute par les sénateurs, les chevaliers et les citoyens les plus riches. Il s’arrête lorsque la majorité est atteinte, parfois avant même la fin des centuries de première classe. En cas de désaccord nécessitant le vote des classes inférieures, il était rare de faire voter les citoyens les plus pauvres.
Le métier de citoyen est devenu un ouvrage de référence en ouvrant la voie aux études portant sur « le » politique, c’est-à-dire l’ensemble des images, des rituels et des gestes à travers lesquels les négociations politiques sont menées au sein de la société étudiée. C’est ce que C. Nicolet appelle lui-même les « langages parallèles » de la vie civique. Il ne s’agit plus seulement d’étudier les institutions pour elles-mêmes et de faire une prosopographie (biographie collective) des magistrats. Avec Le métier de citoyen, c’est une véritable « culture politique » qui est mise en avant, étudiée postérieurement par E. Flaig et K.-J. Hölkeskamp, et qui permet une véritable histoire anthropologique politique de Rome, à travers l’analyse de rites ou des pratiques vestimentaires durant les comices, ainsi que les manifestations des jeux et pièces de théâtre.
Le livre propose également d’intégrer à la recherche historique les résultats des fouilles archéologiques, élargissant ainsi le répertoire des sources utilisées jusque-là par les historiens : sources littéraires (auteurs antiques), épigraphiques (inscriptions latines) et numismatique (pièce de monnaie). Le métier de citoyen intègre ainsi les résultats des fouilles qui ont permis la publication des fragments du « Plan de marbre » de la ville de Rome, daté l’époque sévérienne, offrant une meilleure connaissance du Champ-de-Mars où se déroulaient les cérémonies de la vie civique (comices centuriates, villa publica).