La jungle des miroirs

La désinformation

Photo de David Gomes - Pexels La désinformation
Photo de David Gomes - Pexels

Astroturfing, bulles de filtre, biais cognitifs, fake news, drumbeat, manipulation des images, propagande… Tous ces termes relatifs à la guerre de l'information seront chaque semaine décryptés, mis en relief, sur euradio, pendant cinq minutes, pour donner des clefs de compréhension à tous ceux qui sont perdus dans la jungle de la désinformation.

Bonjour Louise. J’aimerais aujourd’hui étudier de plus près ce qu’est la désinformation, puisque c’est le thème de notre chronique sur euradio, et celui de votre podcast. Est-ce que vous pouvez nous expliquer concrètement ce que ça représente ?

La désinformation désigne la diffusion intentionnelle de fausses informations dans le but de tromper, manipuler ou influencer l’opinion publique. Il s’agit d’un acte délibéré où la personne ou l’entité qui diffuse cette information sait qu’elle est fausse. Cela peut inclure des mensonges, des rumeurs ou des faits manipulés.

Par exemple, nous l’avons étudié dans notre épisode Swing states, l'expression "Crooked Hillary", durant les élections de 2016, portait préjudice à l’image de la candidate pendant les élections contre Trump.

La malinformation est l’utilisation d’informations vraies ou réelles, mais qui sont sorties de leur contexte, déformées ou divulguées de manière malveillante pour nuire à une personne ou à une organisation. Contrairement à la désinformation, la malinformation repose sur des faits réels, mais ceux-ci sont utilisés de façon nuisible.

Par exemple, dans le cadre des débats autour du changement climatique, on voit souvent le phénomène du cherry picking. On choisit une donnée d’une analyse scientifique, on la sort de son contexte pour faire dire autre chose à ce chiffre.

La désinformation et la malinformation peuvent être rassemblées sous le terme plus général des « manipulations de l’information ».  Ces manipulations de l’information sont ce que Raphaël appelle « le cancer des démocraties » car elles génèrent un monde où tout devient flou, tout peut être remis en cause, il n’y a plus de notions de vrai ou de faux . 

Et la troisième, la mésinformation ?

La mésinformation est la diffusion d’informations fausses ou inexactes, mais sans intention de tromper. Dans ce cas, la personne ou l'entité qui transmet l’information pense qu’elle est vraie, mais elle se trompe. Il s’agit d’erreurs non intentionnelles.

Par exemple, partager sur Twitter un article d’actualité obsolète en pensant qu’il est récent, sans vérifier la date.

L’ensemble des actions de désinformation, de malinformation ou de mésinformation sont souvent reprises sous le terme de « Fake News », ou d’« Infox ». Et aujourd’hui, avec l’intelligence artificielle et les réseaux sociaux, la désinformation s’est multipliée et devient de plus en plus difficile à contrecarrer.

Vous avez parlé de l’ère de la post-verité, pouvez-vous m’en parler un peu plus ?

C’est un terme que nous évoquons en effet dans notre épisode PILOTE. Le terme de post-vérité a pris de l’ampleur en 2016 justement, après les élections de Donald Trump. C’est un concept qui désigne une époque où les faits objectifs et vérifiables ont moins d’influence sur l’opinion publique que les émotions, les croyances personnelles, les opinions.

Nous vivons dans une période où les informations factuelles sont reléguées au second plan, au profit des fake news qui offrent souvent des narrations plus séduisantes, ou surtout, qui confortent dans les opinions préexistantes.

C’est assez terrifiant selon moi, et on l’a encore observé récemment avec ce qui s’est passé dans le cadre des deux ouragans Helen et Milton qui ont touché la côté est américaine ces dernières semaines.

Dans le cadre de ces évènements, un pourcentage important d'Américains s’est dissocié de la réalité, affirmant par exemple que ces ouragans sont des armes météorologiques lâchées par le gouvernement.

Article édifiant écrit par Charlie Warzel dans le magazine The Atlantic du 11 octobre.

Oui c’est de la simple désinformation. En quoi est-ce que cela rentre dans l’ère de la post-vérité ?

Il y a deux faits alarmants :

- Un écosystème durable pour enfermer les citoyens dans cette réalité alternative : les bulles de filtres des réseaux sociaux et certaines personnalités créent un univers informationnel « parallèle » propice à ces « réalité alternatives » qui, pour parler clairement, sont des mensonges.

- Les personnes qui consomment et amplifient ne sont pas toujours dupes (mésinformation) mais aussi participantes et volontaires (désinformation).

Par exemple, un politicien qui a indiqué, après avoir diffusé l'image générée par IA d'une petite fille tenant un chiot alors qu'elle fuit. Je ne sais pas d'où vient cette photo et honnêtement, cela n'a pas d'importance. Et d'autres personnes qui reconnaissent que cette image est de l'IA mais qu'elle est réelle à un niveau plus profond. Peu importe que l'image soit vraie, pourvu qu'elle serve le message partisan souhaité.

Et quelles conséquences cela peut avoir ?

Cet environnement informationnel a des répercussions dans le champ réel : 

  1. Harcèlement de fonctionnaire et d'employés de la FEMA (agence fédérale chargée de venir en aide aux sinistrés).
  2. L'administratrice de la FEMA elle-même a déclaré que le volume de Fake news pouvait entraver les opérations de secours.

Cette déconnexion du réel, elle est grave. On est en pleine élection américaine et on voit la déferlante de fake news contre Kamala Harris par exemple. Selon moi, les principaux acteurs de la lutte contre la désinformation c’est nous, la population, les personnes sur les réseaux sociaux, qui peuvent utiliser leur esprit critique pour mettre en question, dénoncer, contredire. Mais si la population est de plus en plus prête à croire et à diffuser les fake news, alors on peut basculer sur une véritable ère de post vérité.

Une interview réalisée par Laurence Aubron.