Nous accueillons Marc Tempelman, le cofondateur de l’application d’épargne gratuite Cashbee. Nous discutons toutes les semaines de finance. De quoi allons-nous parler aujourd’hui ?
La thématique de l’investissement responsable est très à la mode. Personnellement, j’ai la conviction que le placement de l’argent doit aussi contribuer à la protection de la planète et à l’équité sociale. Mais voilà que le lobbying contre l’investissement vert est en train de gagner du terrain.
Pour bien comprendre, vous dîtes qu’il y a des gens qui s’opposent à l’investissement responsable ?
Oui. Et je veux notamment parler du parti Républicain américain et d'un certain nombre de ses plus hauts responsables.
Pourquoi sont-ils contre l’investissement vert ?
L’investissement vert est souvent fondé sur l’exclusion de certains secteurs de l’économie. Typiquement un gestionnaire responsable va exclure les secteurs du pétrole, les activités minières, le tabac et l’armement de son portefeuille. Or les États du Texas, de l’Oklahoma ou encore de la Virginie de l’Ouest dépendent énormément du pétrole et du gaz. Si vous êtes gouverneur d’un de ces États, vous pouvez vous opposer à cette tendance qui va progressivement détourner l’épargne des grandes sociétés pétrolières, qui emploient énormément de gens dans votre État, et qui ont besoin de cet argent pour se développer.
Je peux comprendre, mais quels moyens ont les élus Républicains pour contrer l’investissement responsable ?
Figurez-vous qu’ils disposent de leviers importants pour mettre sous pression les institutions qui favorisent l’investissement responsable. Car les élus contrôlent d’importantes sommes d’épargne, notamment à travers les fonds de pension des fonctionnaires de l’État.
La Virginie de l’Ouest a été la première à dégainer cette arme en 2022, quand elle a exclu 5 grandes sociétés de gestion, dont Blackrock, Goldman Sachs et JP Morgan de la liste des gestionnaires éligibles aux mandats de gestion de l’argent public. La raison étant que ces 5 firmes boycottaient l’industrie des énergies fossiles. L’Oklahoma en a fait autant en 2023.
Comment réagissent ces grandes sociétés de gestion. Est-ce qu’elles craquent sous la pression ?
La réponse est malheureusement oui. Et l’illustration la plus parlante de l’efficacité du lobbying anti-vert concerne le groupement Climate Action 100+. Cette coalition, créée en 2017, regroupe aujourd’hui environ 700 gestionnaires institutionnels dans le monde, avec l’objectif d’utiliser de leur influence collective en tant que actionnaires pour exercer de la pression sur les entreprises polluantes à décarboner.
En une semaine, JP Morgan Asset Management et State Street ont annoncé qu’ils quittaient Climate Action 100+, alors que Blackrock va réduire son implication.
Et cela est véritablement impactant ?
Oui, car quand on sait que Vanguard et Fidelity ne se sont jamais joint à cette initiative, il résulte de ces récentes décisions qu’aucun des 5 plus gros gestionnaires d’actifs aux États-Unis ne soutient cette effort pleinement. Aussi parce qu’ils craignent d'éventuelles condamnations juridiques.
Pardon. Vous voulez dire qu’ils pourraient être juridiquement poursuivis pour promouvoir l’investissement responsable ?
Aux États-Unis, tout à fait. Car les lois américaines obligent les gestionnaires d’actifs d’agir uniquement en faveur des intérêts économiques à long terme de leurs clients. Et ces mêmes lois interdisent aux gestionnaires d’agir de concert. Aujourd’hui, 21 procureurs généraux d’État, tous Républicains, ont lancé des investigations en ce sens.
Le mot de la fin ?
On voit bien que les grands investisseurs institutionnels aux US sont tiraillés entre le besoin de pouvoir proposer des solutions de placement responsables à leurs clients, et les pressions politiques républicaines qui s’y opposent. Il nous semble que cela souligne le besoin de continuer à éduquer les épargnants (qui sont aussi des électeurs) sur l’importance du rôle que doit jouer l’épargne pour accompagner la transition énergétique.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.