L’Europe est composée de différents acteurs (États, entreprises privées, organisations internationales…) qui jouent un rôle majeur dans les relations internationales. La série « L’Europe et le Monde » sur euradio cherche à éclairer l’auditeur sur certains aspects de la place du Vieux continent sur la scène internationale.
On parle beaucoup en ce moment de “sécurité économique” en Europe. Pourquoi ce sujet revient-il avec autant de force ?
Parce que l’Europe a réalisé qu’elle était trop dépendante de pays tiers pour des ressources stratégiques. On l’a vu avec le gaz russe. On le voit aujourd’hui avec les terres rares contrôlées par la Chine. Et ces dépendances deviennent des armes économiques. La Commission européenne a donc présenté son plan ce mercredi pour reprendre le contrôle de ses ressources stratégiques, ou au moins en diversifier l'approvisionnement.
Commençons par les terres rares. Pourquoi sont-elles si importantes ?
Elles sont indispensables à presque tout : les voitures électriques, les éoliennes, les smartphones, les batteries, les équipements militaires. Sans elles il n’y a pas de technologie moderne. Et la Chine contrôle quasiment tout le raffinage mondial. C’est là que l’Europe est vulnérable.
Et Pékin a renforcé la pression récemment…
Oui. Cette année, la Chine a multiplié les restrictions sur ses exportations. Certaines entreprises européennes ont même dû ralentir leur production. Stéphane Séjourné, vice-président exécutif de la Commission parle de “racket économique”, parce que Pékin exige des informations extrêmement sensibles, parfois proches du secret industriel, pour autoriser certaines exportations.
Et l’Europe répond comment ?
Avec un plan massif : ReSourceEU. L’idée, c’est de sécuriser l’accès à toutes les matières premières critiques. Et surtout d’arrêter de dépendre à 100 % de la Chine pour les aimants permanents, les métaux rares ou les composants stratégiques.
En quoi consiste exactement ce plan ?
Trois volets essentiels. D’abord, un centre européen des matières premières critiques, opérationnel en 2026. Il va acheter en commun, stocker, et anticiper les besoins des industries européennes. Comme le Japon le fait déjà.
Ensuite, près de 3 milliards d’euros pour développer des projets miniers, des raffineries et du recyclage en Europe. L’idée, c’est de produire chez nous, et de recycler beaucoup plus.
Enfin, un cadre réglementaire plus simple pour ouvrir de nouvelles mines et fonderies. Ça veut dire accélérer les permis, alléger certaines procédures. Sans ces mesures, l’Europe sait qu’elle restera dépendante.
L’Union impose aussi des interdictions d’exportation, non ?
Oui. Bruxelles veut empêcher la sortie de déchets d’aimants et d’aluminium, pour les recycler ici. Ces déchets contiennent des ressources très précieuses. On ne peut plus se permettre de les laisser partir.
On sent quand même l’urgence… Pourquoi maintenant ?
Parce que les tensions géopolitiques s’aggravent. Les États-Unis de Donald Trump achètent massivement dans le monde entier pour sécuriser leurs propres stocks. Et l’Europe a vu, avec le gaz russe, à quel point une dépendance peut devenir une faiblesse stratégique.
Justement, parlons gaz. Les Européens viennent de décider la fin des importations russes.
Oui, d’ici l’automne 2027, plus aucune importation de gaz russe, ni par gazoduc, ni en GNL. Encore faut-il qu’elle ne l’achète pas par des intermédiaires, comme l’Azerbaïdjan. Cette interdiction est bien un tournant, Ursula von der Leyen parle d’une “nouvelle ère”. L’Europe ne veut plus revivre le chantage énergétique de 2022. Et elle veut priver la Russie d’une de ses principales ressources financières.
Certains pays étaient réticents…
Oui, notamment la Hongrie et la Slovaquie. C’est pour ça que la Commission a utilisé une proposition législative plutôt que des sanctions : pour éviter un veto. Et les entreprises pourront invoquer la “force majeure” pour rompre les contrats sans risque juridique. Le Kremlin n’a pas tardé à réagir, disant que l’Europe “se condamne” à une énergie plus chère et qu’elle va perdre en compétitivité. Mais pour Bruxelles, le coût de la dépendance serait bien plus élevé. C’est un choix stratégique, pas un choix économique à court terme.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.