Nous accueillons Marc Tempelman, un des co-fondateurs de la FinTech Cashbee, qui aide les Européens à épargner plus et mieux. Nous discutons toutes les semaines de finance. Au programme cette semaine: la pollution de l'industrie bancaire.
Je souhaitais échanger avec vous aujourd’hui au sujet de l’empreinte carbone des banques françaises, car selon une étude récente de l’association OXFAM, celle-ci représenterait, et je site « près de huit fois les émissions de gaz à effet de serre de la France entière ». Et ce qui ferait donc du secteur bancaire une des industries les plus polluantes du pays.
C’est surprenant, car j’aurais parié sur l’industrie pétrolière, ou encore les secteurs du textile et de la construction. Mais les banques ? Comment cette association est-elle arrivée à cette conclusion étonnante ?
Oui, cela peut paraître contre-intuitif. Mais cela se comprend plus facilement quand on se plonge un peu dans la méthode de calcul. Car pour son étude, OXFAM a pris en compte les émissions de gaz à effet de serre directes, mais aussi indirectes. Et cela fait rentrer en compte le volume de CO2 émises par les clients des banques. Le raisonnement est le suivant : les banques financent et investissent dans de nombreux secteurs polluants, comme l’énergie fossile, le transport aérien ou encore l’agro-alimentaire. Et c’est grâce à ce soutien financier que les entreprises peuvent fonctionner et produire. Créant ainsi de la pollution.
Et selon ces calculs, cela donne quoi ?
Et bien, les six grandes banques françaises seraient responsables de l’émission de 3,3 milliards de tonnes équivalent de CO2. Soit 7,9 fois les émissions de la France ! Ce qui placerait la Société Générale, BNP Paribas, le Crédit Agricole, le groupe BPCE, la Banque Postale et le Crédit Mutuel parmi les entités les plus polluantes du pays.
Elles sont toutes à mettre dans le même sac ? Ou il y-a-t-il des différences entre ces banques ?
Toujours selon cette étude la Société Générale et la BNP provoquent une intensité carbone qui est proche du double du meilleur élève de la classe, la Banque Postale. C’est normal, les grandes banques, actives à l’international soutiennent de longue date les grandes sociétés de pétrole. Ce seul secteur représente 40% des émissions de CO2 des portefeuilles de prêts des 4 plus grandes banques françaises.
C’est édifiant. Mais peut-on contester ces résultats ?
C’est la bonne question à poser et respectons OXFAM pour son sens du fairplay. L’association a partagé les résultats de son étude en amont avec les 6 banques et leur a donné un droit de réponse, également partagé sur leur site. Et je pense que les banques y déploient un certain nombre d’arguments tout à fait recevables.
Vous connaissant, j’imagine que vous en avez plusieurs en tête ?
Oui. Le premier constat est une évidence, mais l’économie mondiale n’est aujourd’hui pas assez dé-carbonée. Il y a encore énormément de secteurs où la transition énergétique est en cours, mais certainement pas finie. Or une grande banque se doit de diversifier son portefeuille de prêts.
Qui plus est, les pouvoirs politiques demandent aujourd’hui plus que jamais aux banques de soutenir l’économie. Sans préciser quels secteurs doivent être soutenus. Si les banques sont censées fournir des financements à l’ensemble de l’économie pour la faire tourner, elles vont structurellement se retrouver avec des expositions aux secteurs carbonés.
Est-ce qu’on peut aussi reprocher à Oxfam d’avoir pris une photo des bilans des banques, qui ne reflète pas leurs efforts dans le temps pour dé-carboner ?
Tout à fait. Les portefeuilles de crédit des banques ont été construits pendant des décennies et contiennent donc aujourd’hui des prêts, accordés il y a de nombreuses années. Ils contiennent donc un stock important de prêts accordés à certaines industries carbonées, qui ne seraient certainement pas accordés dans le contexte actuel.
Car les banques, dans leur ensemble, adoptent aujourd’hui des critères beaucoup plus stricts et tiennent compte de l’impact carbone des financements que leurs clients leur demandent. Cela fera automatiquement et progressivement baisser la proportion des industries polluantes dans les portefeuilles bancaires. Plusieurs banques françaises ne financent déjà plus les activités d’exploration et de production de gaz de schiste et toutes vont s’extraire rapidement de l’industrie du charbon, par exemple.
Donc en conclusion, sont-elles si polluantes que cela les banques ?
Oui, tant que l’économie mondiale est polluante, les banques le seront. Elles ont donc un rôle clé à jouer dans la dé-carbonisation. Les efforts d’Oxfam et d’autres sont utiles, car ils attirent l’attention du grand public et du gouvernement sur leur rôle dans le domaine.
Ceci étant dit, il serait injuste d’accuser les banques de ne pas faire d’efforts en ce sens. Elles soutiennent toutes la transition écologique, et s’engagent sur ce front avec plus de conviction que la plupart de leurs concurrents. La vraie difficulté pour elles reste de réussir le virage écologique, tout en répondant à l’impératif de soutenir l’économie dans son ensemble… et de gagner de l’argent au passage. C’est facile de dire que la relance pour sortir de la crise économique doit être verte et durable. Moins facile de le traduire dans la pratique !
crédits photo: Yann Caradec from Paris, France, CC BY-SA 2.0, via Wikimedia Commons