Nous accueillons chaque semaine Alain Anquetil, professeur de philosophie morale à l’ESSCA Ecole de Management, pour une chronique de philosophie pratique. Bonjour !
Aujourd’hui, vous allez nous parler du voyage en Europe du président des Etats-Unis, Joe Biden, qui a également participé au sommet du G7 qui s’est tenu du 11 au 13 juin en Angleterre.
Je ne vais pas vous parler du contenu du sommet du G7ou d’autres aspects de son premier voyage à l’étranger, mais du genre de personne qu’est le président des Etats-Unis.
Du genre de personne qu’est Joe Biden ?
Oui. Il ne s’agit pas de faire de la psychologie : je ne connais pas Joe Biden personnellement et je ne suis pas psychologue. Cependant, la notion de « genre de personne » n’exige pas que ces conditions soient satisfaites. Elle désigne à la fois ce qu’une personne souhaite devenir et ce qu’elle est aux yeux des autres. On entend des personnes dire, dans certaines circonstances : « Je ne suis pas ce genre de personne », par exemple lorsqu’elles veulent se défendre d’une mauvaise interprétation de leurs propos, et l’on parle souvent d’autrui en utilisant cette expression, soit à la forme négative (« Ce n’est pas le genre de personne qui se laisse marcher sur les pieds » »), soit à la forme affirmative (« C’est le genre de personne qui s’engage dans les affaires publiques »).
Pourquoi vous intéresser à Joe Biden ?
Pour deux raisons. D’abord, il a publié le 6 juin dernier dans le Washington Post un texte intitulé « Mon voyage en Europe a pour but de permettre à l’Amérique de rallier les démocraties du monde entier » (1). De sa lecture, on peut inférer qu’il est le genre de personne à ne pas transiger sur le respect des valeurs démocratiques et sur la nécessité d’unir les démocraties pour, je le cite, « relever les défis et prévenir les menaces » de notre monde.
La deuxième raison est que l’expression « genre de personne » a déjà été utilisée à son propos : « Joe Biden n’est pas le genre de personne à revenir sur une promesse à la suite d’une négociation » (New York Times, 15 novembre 2020) (2) ou : « j’ai pu constater le genre de personne que Joe Biden est réellement. Il se soucie des gens. Il ressent les souffrances que les autres ressentent. Il veut améliorer leur vie, même si un tel objectif politique peut s’avérer épuisant » (Time, 20 janvier 2021) (3).
Ces descriptions permettent de préciser ce que l’on veut dire quand on utilise cette expression, plutôt que le mot « personnalité » par exemple. On fait référence à des traits de caractère qui se traduisent en actes. Un genre de personne X ou Y commet des actes X ou Y. Si Joe Biden est le genre de personne qui se soucie du bien-être d’autrui et éprouve de l’empathie, il agit en conséquence.
La notion de genre de personne ne se confond-elle pas avec le caractère ?
La philosophe Julia Annas a proposé une distinction qui permet de saisir la différence.
Quand on utilise l’expression « genre de personne », on fait référence à la dimension morale du caractère. Julia Annas propose l’exemple d’un individu qui aime que les choses soient en ordre. Il range très souvent sa voiture (4). Mais ceci, observe Annas, ne nous apprend presque rien sur le genre de personne qu’il est en réalité.
Supposons maintenant qu’il porte secours aux passagers d’une voiture gravement accidentée. Il agit au péril de sa vie. Cette fois, son action, et le courage qui l’a motivée, nous apprend quelque chose sur le genre de personne qu’est cet individu.
Plus généralement, c’est l’expression des vertus (ou des vices) qui nous permet de tirer ce type de conclusion. Sachant qu’une vertu exprime aussi, selon les termes de Julia Annas, un « engagement de la personne envers le bien ». Celui ou celle qui sauve les passagers de la voiture accidentée considère que son action fait partie des valeurs qui donnent du sens à sa propre existence.
Mais, dans le cas de Joe Biden, ne devrait-on pas parler d’un « genre de président » plutôt que d’un « genre de personne » ?
Tout rôle est une occasion d’exercer des vertus. Même si nous ne cherchons pas directement à être courageux, sincère ou impartial, nous pouvons cultiver ces vertus grâce aux rôles que nous assumons. Peut-être Joe Biden n’avait-il pas besoin d’occuper les fonctions qu’il a occupées au cours de sa carrière politique, jusqu’à celle qu’il assume aujourd’hui, pour être un genre de président empathique et soucieux d’autrui. Peut-être était-il déjà ce genre de personne, mais ses rôles lui ont donné l’occasion de cultiver ces vertus.
L’idée de « genre de personne » est en elle-même normative : on veut devenir cette personne-là et l’on s’efforce de devenir cette personne-là. Il en est de même quand on se réfère explicitement à un rôle. Un rôle est par définition normatif (il suppose des tâches que son titulaire doit accomplir), mais le genre de titulaire de ce rôle que l’on veut être – le genre de président, de professeur, de metteur en scène, de juge d’instruction, etc. – est aussi une idée normative. On veut être digne d’assumer ce rôle-là, mais on veut aussi donner en quelque sorte notre interprétation de la bonne manière de l’assumer.
Joe Biden est peut-être typique d’un cas de fusion entre le genre de personne et le genre de rôle qu’on assume. Le genre de personne qu’il est et qu’il veut être est identique au genre de président qu’il est et qu’il veut être. C’est notable, car il n’y a pas toujours coïncidence entre ces deux « genres ».
(1) « Opinion: Joe Biden: My trip to Europe is about America rallying the world’s democracies », Washington Post, 6 juin 2021.
(2) « Want a preview of President Biden? Look to the campaign trail », New York Times, 15 novembre 2020.
(3) « Joe Biden was my best man. Now he’s my President », Time, 20 janvier 2021.
(4) J. Annas, Intelligent virtue, Oxford University Press, 2011.
Laurence Aubron - Alain Anquetil
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Image par Todd Jacobucci de Flickr