Nous accueillons chaque semaine Alain Anquetil, professeur de philosophie morale à l’ESSCA Ecole de Management, pour une chronique de philosophie pratique.
Aujourd’hui, vous allez nous parler de la règle d’or, comprise dans son sens moral.
J’aurais pu vous parler de la règle d’or au sens budgétaire, car la Commission européenne a lancé une consultation publique sur le Pacte de stabilité et de croissance qui « a notamment érigé la limite d’un déficit public à 3% en règle d’or » (1). Ici, la règle d’or désigne un « précepte que l’on s’attache à respecter en toutes circonstances, auquel on ne tolère aucune exception » (2). Mais la règle d’or désigne aussi un principe moral : « Ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas qu’ils vous fassent », ou, sous une forme positive : « Faites aux autres ce que vous voudriez qu’ils vous fassent ».
Aucun rapport avec la règle d’or budgétaire…
Sauf le fait qu’on a appliqué l’expression « règle d’or » à ces deux maximes – pour la première fois, sans doute, dans l’Angleterre du 17ème siècle (3).
Pourquoi voulez-vous en parler aujourd’hui ?
Parce qu’elle est toujours d’actualité et toujours pertinente. C’est qu’elle exige que nous prenions la place de l’autre, que nous nous mettions dans sa peau. C’est même un peu plus que cela, car elle implique aussi de prendre en compte le rôle qu’occupe cette autre personne quand nous interagissons avec elle. Si nous interprétons la règle d’or de la façon suivante : « Faites aux autres ce que vous voudriez qu’ils vous fassent dans le rôle qu’ils occupent », nous comprenons mieux son fonctionnement.
Pouvez-vous donner des exemples ?
Il existe des cas où les rôles sont identiques. Des amis ne devraient avoir aucun mal à répondre à la question : « Si j’étais dans le rôle de mon ami, qu’est-ce que j’aimerais que cet ami me fasse ? » Il en est de même des candidats à notre élection présidentielle : « Si j’étais dans le rôle de cet autre candidat, qu’est-ce que j’aimerais que ce candidat me fasse ? »
Ou « ne me fasse pas » …
Oui, si l’on considère la version négative de la règle d’or.
Pour répondre à ces questions, il faut se référer à des normes : les normes qui régissent les relations entre amis et les normes qui régissent les relations entre des candidats à une élection présidentielle (4).
On peut transposer cette interprétation de la règle d’or aux situations dans lesquelles les protagonistes n’occupent pas les mêmes rôles, par exemple un vendeur et un acheteur, ou un juge et un prévenu (5).
Considérons le cas du vendeur. Il peut, par l’imagination, se mettre à la place d’un acheteur potentiel et se demander ce qu’il aimerait qu’un vendeur lui fasse. Cependant, il pourrait se répondre à lui-même : si j’étais un acheteur, j’aimerais que le vendeur me vende ce produit à un prix nul. Ce résultat est évidemment absurde.
Mais la règle d’or fonctionne si l’on applique ce que nous avons dit à propos des amis ou des candidats à l’élection présidentielle. Le vendeur, imaginant ce qu’il aimerait qu’un vendeur lui fasse s’il était acheteur, se réfèrerait alors aux normes régissant la relation entre un vendeur et un acheteur en général. Il s’agirait par exemple des normes de sincérité et de transparence. Le raisonnement moral généré par la règle d’or serait le suivant : si j’étais l’acheteur, j’aimerais que le vendeur soit sincère et transparent. Et ce vendeur en conclurait que, face à son acheteur, il doit être sincère et transparent.
On le voit, cette interprétation de la règle d’or a l’avantage d’être à la fois pratique et réaliste, puisqu’elle prend en considération le concept de rôle (6).
(1) « 3% de déficit : une règle d'or fixée un peu par hasard », Novethic, 24 octobre 2021. Voir aussi le site de la Commission européenne.
(2) Dictionnaire de l’Académie française, 9ème édition, article « Or ».
(3) Voir Olivier du Roy, « L’explosion de la règle d’or au XVIIème siècle anglais », Revue d’éthique et de théologie morale, 278(1), 2014, p. 35-56, et Jeffrey Wattles, The Golden Rule, Oxford University Press, 1996.
(4) C’est la solution proposée par Marcus G. Singer, « The Golden Rule », Philosophy, 38(146), 1963, p. 293-314.
(5) L’exemple du juge a été succinctement proposé par Emmanuel Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, tr. V. Delbos, revue par A. Philonenko, Paris, Vrin, 1997.
(6) Pour un approfondissement de cette interprétation de la règle d’or, voir mon article « Comment appliquer la règle d’or dans le monde professionnel ? » du 27 novembre 2021.
Alain Anquetil au micro de Cécile Dauguet
Photo de Andrea Piacquadio provenant de Pexels
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