La chronique philo d'Alain Anquetil

Le bonheur des vacances est-il éphémère ou permanent ? - La chronique philo d'Alain Anquetil

Le bonheur des vacances est-il éphémère ou permanent ? - La chronique philo d'Alain Anquetil

Nous accueillons chaque semaine Alain Anquetil, professeur de philosophie morale à l’ESSCA Ecole de Management, pour une chronique de philosophie pratique. Aujourd’hui, vous allez, à l’approche des vacances, nous parler du bonheur.

Ce mot est l’un des plus fréquents de la langue française (1), des députés nouvellement élus l’ont utilisé au lendemain du deuxième tour des élections législatives (2), et, vous l’avez dit, les vacances peuvent avoir quelque rapport avec l’idée de bonheur, bien que le malheur soit aussi présent dans notre monde. Comme le disait le sociologie Pierre Périer, « les vacances […] représentent désormais l’une des formes privilégiées du bonheur » (3).

Mais les vacances sont soumises à des codes …

Oui, et, comme le souligne Pierre Périer, « à des exigences de rôle » – en vacances, on doit jouer le rôle d’un personnage décontracté, de bonne humeur, etc. 

On pourrait penser que ce bonheur-là est éphémère, comme dans les circonstances où l’on s’écrie : « Quel bonheur ! » Pourtant, Périer ajoute que « les impressions de vacances ne sont pas des instants éphémères et sans lendemain […] car elles expriment dans certains cas le sentiment d’avoir vécu la ‘vraie vie’ ». 

Le bonheur n’est pas le plaisir.

On « oppose justement au bonheur la gaîté, le plaisir, la joie et toutes les satisfactions passagères ou partielles de la sensibilité », nous dit le Vocabulaire philosophique Lalande (4). Mais Aristote, parlant de la nature du bonheur, remarque qu’une opinion répandue identifie « le bonheur à quelque chose d’apparent et de visible, comme le plaisir, la richesse ou l’honneur » (5). Pour lui, cependant, le bonheur devrait être compris comme un but ultime qui donne son unité à la vie d’une personne, il est la « fin de tous nos actes » et « nous le choisissons toujours pour lui-même et jamais en vue d’une autre chose » (6).

Donc le bonheur a quelque chose de permanent ?

Oui. La philosophe Philippa Foot a proposé un argument qui permet de saisir sa valeur temporelle (7). 

Elle distingue deux types d’éléments faisant partie du bonheur. Il y a, d’une part, des éléments qui relèvent de la sensation, d’états intérieurs purement subjectifs, et, d’autre part, des éléments qui peuvent renvoyer à une réalité, à un état de choses dont on peut vérifier l’existence, qui peut être vrai ou faux. 

Cette distinction se matérialise dans le langage à travers les verbes qui rapportent une sensation – comme le verbe « jouir », par exemple dans « jouir de la victoire dans une compétition » –, et les verbes qui sont accompagnés de la conjonction « que » – comme « croire que », « désirer que », « se réjouir que » – suivie d’un complément qui prétend représenter la réalité – par exemple : « Je me réjouis que le Parlement européen ait interdit la vente de véhicules neuf thermiques à partir de 2035 ».

Philippa Foot observe ainsi que « des parents peuvent être heureux non seulement parce qu’ils jouissent du fait d’être avec leurs enfants, mais aussi parce qu’ils se réjouissent du fait que leurs enfants sont heureux et en bonne santé » (8). Le point important est que, dans le second cas (avec « se réjouir du fait que »), le bonheur de ces parents dépend de leur croyance qu’il est bon d’être en bonne santé pour mener sa vie. 

Ce bonheur-là n’a pas la qualité éphémère de la sensation qu’ils éprouvent quand ils sont en présence de leurs enfants. Ils l’éprouvent même s’ils n’y pensent pas, par exemple s’ils sont endormis ou absorbés par leurs occupations. C’est cette « continuité temporelle » qui distingue ce type de bonheur de l’éphémère jouissance (9). Mais l’une et l’autre forme – le bonheur exprimé par « se réjouir que » et la jouissance exprimée par « jouir de » – pourront être présentes pendant les prochaines grandes vacances.


(1) Voir « Liste de fréquence lexicale », éduscol, février 2022. Le bonheur est aussi l’une des 17 notions du programme de philosophie de terminale.

(2) Voir « Législatives 2022 en Mayenne : retrouvez tous les résultats et notre direct sur la soirée électorale », Ouest France, 19 juin 2022, « Législatives : cinglante défaite pour Castaner, fidèle parmi les fidèles de Macron », Le Parisien, 19 juin 2022, etc.

(3) P. Périer, « Les vacances, plaisir exigé », dans Le bonheur, modes d’emploi, Les Grands Dossiers des Sciences Humaines, 35(6), 2014.

(4) A. Lalande,Vocabulaire technique et critique de la philosophie, 18ème édition, Paris, PUF, 1996.

(5) Aristote, Éthique à Nicomaque, tr. J. Tricot, Paris, Vrin, 1990.

(6) Ibid.

(7) P. Foot, « La vertu et le bonheur », tr. M. Canto-Sperber, dans La philosophie morale britannique, Paris, PUF, 1994.

(8) Ibid.

(9) La distinction de Foot a un autre intérêt qui est directement lié à l’objectif de son essai : quelqu’un qui prétendrait être heureux de choses ignobles ne pourrait pas éprouver le bonheur lié au fait de se réjouir que…, seulement le plaisir provenant du fait de jouir de...

Alain Anquetil au micro de Laurence Aubron

Toutes les chroniques philo d'Alain Anquetil sont disponibles ici