Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.
La semaine dernière, vous êtes revenue sur certaines des conséquences des élections européennes, notamment la droitisation du Parlement européen. Aujourd’hui, vous souhaitez insister sur le risque pour la France de perdre en influence au sein des institutions européennes. Pourquoi ?
La démission soudaine et brutale de Thierry Breton en est l’ultime symbole : l’influence de la France est en train de diminuer. Et ce n’est pas une bonne nouvelle, ni pour nous, ni pour les partisans d’une Europe plus puissante, et surtout plus géopolitique. On aurait pu penser qu’avec le rapport de Mario Draghi présenté la semaine dernière, la Commission aurait au contraire chercher à étoffer ses rangs de personnes comme Thierry Breton, convaincues qu’il faut aller plus loin dans la coopération et la mutualisation. Mais les enjeux de politiques politiciennes ont encore une fois pris le pas sur l’intérêt général européen.
La nomination de Stéphane Séjourné et l’attribution d’un portefeuille conséquent ne vous convainc pas ?
Disons que la place et l’importance qu’avait pris Thierry Breton sur la scène européenne depuis cinq ans ne peut pas être simplement « transféré » à une autre personnalité, aussi compétente soit-elle. L’influence, ça se construit. Le portefeuille attribué à Stéphane Séjourné est important, mais en comparaison de celui de Thierry Breton il est moindre : nous conservons la stratégie industrielle mais perdons le numérique, la défense et l’espace. Les missions restent importantes mais tout dépendra de Stéphane Séjourné et de savoir s’il veut jouer un rôle aussi proactif et, dans une certaine mesure, disruptif, que l’a fait Thierry Breton dans la précédente mandature.
Au sein du Parlement européen aussi l’influence de la France est plus fragile.
Oui, le nombre de députés français a diminué au sein des partis les plus influents. Avec 10 députés en moins chez Renew et 2 en moins au PPE (première force politique), l’influence de la France au sein du Parlement est largement compromise. Le 23 juillet dernier, chacune des 24 commissions et sous-commissions a choisi son bureau composé d’un président et de quatre vice-présidents, soit 24 présidents et 96 vice-présidents. La France a obtenu une seule présidence : celle de la sous-commission des droits de l’homme. On a aussi obtenu 5 vice-présidences. Mais le plus gros contingent d’eurodéputés français est celui du Rassemblement national : 30 députés siègent au sein des Patriotes pour l’Europe, le nouveau parti créé par Viktor Orban et présidé par Jordan Bardella.
Est-ce que cela leur confère une influence majeure au sein du Parlement européen ?
Et bien pas pour le moment puisque les Patriotes n’ont obtenu aucun poste clé au Parlement, et qu’ils font l’objet d’un cordon sanitaire : aucun des grands partis ne veut les intégrer dans des accords de coalition, ce qui limite de facto leur influence.
Quel peut être l’impact du départ de Thierry Breton de la Commission en terme d’influence française ?
Ces cinq dernières années, la voix de la France a été portée principalement par Emmanuel Macron, mais aussi à travers de Thierry Breton qui a milité en faveur d’une réindustrialisation, et d’une défense européenne, deux idées chères à la France. Donc le maintenir à son poste de Commissaire était un impératif pour l’influence française en Europe. Mais la dissolution de l’Assemblée nationale décidée par Emmanuel Macron au soir des résultats des élections européennes a affaibli la France et terni un peu plus son image. En perdant Thierry Breton, la France perd donc un allier de taille à la Commission. Mais avec la nomination de Michel Barnier au poste de Premier Ministre, le vent pourrait tourner à nouveau.
Il est plutôt apprécié à Bruxelles ?
Oui et il est surtout reconnu comme étant un européen convaincu, comme Emmanuel Macron d’ailleurs. C’est un interlocuteur fiable et connu de la plupart des dirigeants européens puisqu’il a une longue carrière dans les institutions européennes : de 1999 à 2004 il est Commissaire européen à la Politique régionale ; puis il est nommé Vice-président de la Commission européenne et Commissaire au marché intérieur et aux services (l’un des plus gros portefeuilles de la Commission) de 2010 à 2014 ; enfin, en 2016, au moment du Brexit c’est lui qui est choisi pour mener les négociations sur le retrait des Britanniques, jusqu’en 2021. Il connait donc parfaitement les arcanes du pouvoir bruxellois, les jeux d’influence et les enjeux européens. Michel Barnier est donc aujourd’hui le meilleur atout pour la France en termes d’influence au sein des institutions européennes.
Quelles ont été les réactions européennes suite à sa nomination ?
Michel Barnier est avant tout présenté et reconnu en Europe comme le négociateur du Brexit. Les capitales européennes s’accordent pour dire qu’il a des capacités de négociation, d’écoute et de rassemblement. La Présidente de la Commission européenne qui le connait bien puisqu’il a été Commissaire sous sa précédente mandature, a salué sa nomination. Son parcours européen est celui d’un conciliateur, de quelqu’un qui recherche le consensus. En France on n’est pas forcément habitués, mais au niveau de la gouvernance européenne, c’est une qualité essentielle. Seuls les Britanniques ont émis des réserves sur la nomination de Michel Barnier. Nigel Farage, (chef du parti de droite Reform UK et partisan du Brexit) a qualifié le Premier ministre de « fanatique de l’UE ». Personnellement, je pense que venant de lui, on peut prendre ça comme un compliment...
Un entretien réalisé par Laurence Aubron