L'œil sur l'Europe - Joséphine Staron

Identité, force morale, destin partagé : qu'est-ce qu'être Européen aujourd'hui ?

Photo de Markus Spiske sur Unsplash Identité, force morale, destin partagé : qu'est-ce qu'être Européen aujourd'hui ?
Photo de Markus Spiske sur Unsplash

Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.

Vous revenez aujourd’hui d’un grand rendez-vous européen, les Universités d’Été du mouvement Pan Europe France. Un mot peut-être pour commencer : quel était le thème de ce rassemblement ?

Oui, c’était un moment important car il s’agissait de s’interroger sur une question fondamentale : qu’est-ce qu’être européen aujourd’hui ? Dans un contexte géopolitique marqué par le retour des empires et des rapports de force, l’Europe doit clarifier ce qui fait son identité, ce qui nous unit et nous différencie. Or, c’est un vrai tabou pour les institutions européennes. On préfère parler de diversité, de compromis, mais jamais d’identité, comme si le mot lui-même était dangereux. C’est un des facteurs de la montée des néo-conservatismes en Europe qui proposent une vision identitaire très nette, mais faussée. On ne peut pas leur laisser s’accaparer le débat sur l’identité plus longtemps. 

Justement, pourquoi l’identité est-elle un sujet aussi tabou pour l’Union européenne ?

Parce qu’historiquement, l’identité a été associée aux nationalismes du XXᵉ siècle et à leurs dérives tragiques. Les fondateurs de l’Union ont voulu éviter ce terrain en construisant l’Europe sur l’économie, dans l’idée que les solidarités économiques allaient entraîner des solidarités politiques. Mais cela a créé un vide : l’Europe n’a pas pensé sa frontière, ni son incarnation, ni son récit commun. Résultat : une Europe qui se définit par ses institutions, mais pas par une identité partagée. Et en temps de crise comme aujourd’hui, on voit les limites de ce modèle.

Pourtant, vous dites qu’il existe bel et bien une identité européenne. Comment la définiriez-vous ?

Oui, il faut oser la revendiquer. L’Europe a forgé un modèle unique, issu d’une histoire unique. On y retrouve l’héritage de la Grèce antique et de la démocratie, de Rome et du progrès juridique, de la Chrétienté et de la réforme entre les Catholiques et les Protestants, de la philosophie des Lumières, puis de la révolution industrielle qui a porté l’Europe au premier rang mondial. Être européen, c’est appartenir à cette histoire, à cette culture politique. Et il faut réinsuffler de la fierté : nous avons inventé un modèle démocratique, un modèle économique et social unique au monde, à la fois dans l’Histoire et sur un plan géographique. Ce modèle c’est notre identité et il mérite d’être défendu.

L’Europe, dites-vous, c’est aussi la capacité à protéger. Est-ce là que les faiblesses apparaissent le plus aujourd’hui ?

Absolument. Nous voyons aujourd’hui les limites criantes de l’Europe en matière de sécurité et de défense. Les incursions de drones et d’avions russes dans nos espaces aériens le montrent : nous sommes vulnérables. Quand Emmanuel Macron dit que l’on n’abattra pas d’avions russes, il envoie un signal terrible : il nie la dissuasion et supprime l’effet de surprise stratégique. C’est un feu vert à Poutine. De plus, en Europe, la notion de représailles n’existe pas. On ne répond pas aux coups. Mais si l’on ne change pas ce logiciel, nos adversaires ne nous prendront jamais au sérieux.

Est-ce que ce manque de crédibilité est aussi lié à l’absence de force morale en Europe ?

En tout cas on a un gros doute. Regardez l’Ukraine : avant la guerre, c’était un pays divisé. Mais face à l’invasion russe, les Ukrainiens ont fait preuve d’une force morale incroyable, qui leur a permis de résister depuis bientôt quatre ans. En Europe, nous n’avons probablement pas cette force morale collective. Pourquoi ? Parce qu’elle doit être fondée sur une identité partagée, sur la conscience d’un destin commun. La meilleure arme d’un peuple, c’est sa force morale. Et il est urgent de la renforcer au niveau européen parce qu’elle sera testée par nos ennemis, mais aussi par nos alliés, comme les Etats-Unis. 

Alors, concrètement, comment peut-on avancer vers cette « Europe qui protège » que vous appelez de vos vœux ?

D’abord, en sortant du tabou sur l’identité et en assumant que l’Europe n’est pas seulement un marché ou une addition d’États, mais une civilisation avec un modèle. Ensuite, en corrigeant les erreurs du passé : penser nos frontières, rééquilibrer nos institutions, incarner davantage l’Europe à travers des figures politiques fortes. Enfin, en changeant de culture stratégique : répondre aux attaques, construire une défense crédible, et surtout, mobiliser les citoyens autour de cette idée de destin commun. Sans cela, l’Europe restera vulnérable et dépendante des autres.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.