Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.
Aujourd’hui vous souhaitez revenir sur la Conférence sur la sécurité qui s’est tenue le weekend dernier à Munich. Vous en tirez une conclusion qui peut surprendre : selon vous, nous venons d’assister à la naissance de la défense européenne. N’est-ce pas un peu prématuré ?
Si bien évidemment, vous avez raison. Mais il me parait quand même important de souligner le moment historique qu’a constitué la dernière Conférence sur la sécurité à Munich pour la défense européenne. Bien sûr, il y a eu les annonces de la Commission en matière de défense, j’y reviendrais, elles sont capitales. Mais on a surtout assisté à la naissance d’une opinion convergente des dirigeants européens en matière de défense de l’Europe. Et ce n’était pas arrivé depuis longtemps ! La France a réitéré sa volonté de développer la défense européenne, notamment l’industrie. Mais contrairement à d’habitude, la voix française a été très largement reprise par les dirigeants.
Même l’Allemagne ?
Oui et pas qu’un peu ! Le chancelier Olaf Scholz a non seulement acté le fait que les Européens devaient davantage s’occuper de leur propre sécurité et ne pas compter uniquement sur les Américains, mais il a aussi rouvert la porte à l’idée d’une dissuasion nucléaire européenne. Jusque-là, c’était une idée très française, qui avait peu de soutiens, beaucoup estimant que l’OTAN dans son fonctionnement actuel suffisait à assurer cette mission de dissuasion. Or, aujourd’hui, tous ont conscience que l’Alliance Atlantique, si elle est indispensable, doit être renforcée dans son pilier européen. C’est un grand pas en avant qui a été fait par le Chancelier. Et fait notable : même Robert Habeck, co-président du parti des écologistes allemands et actuellement Ministre de l'Économie et de la Protection du Climat, a lui aussi reconnu qu’il fallait accélérer en matière de défense et convaincre les citoyens européens qu’il allait falloir dépenser davantage dans notre propre défense.
C’est aussi le souhait de Donald Trump...
Oui et si on est tout à fait cynique, on peut dire que les propos de l’ancien président américain sont tombés à pic ! Quelques jours avant le début de la Conférence de Munich, Donald Trump exhorte les Européens à financer davantage l’OTAN et les menacent de ne plus les protéger de l’ennemi russe s’il était réélu en novembre prochain. Ça a provoqué une onde de choc en Europe, notamment auprès des dirigeants les plus atlantistes qui voulaient encore croire que le soutien américain était gravé dans le marbre. Or, ce soutien, il dépend aussi malheureusement de la conjoncture politique des États-Unis. Et quand on voit le blocage de l’aide pour l’Ukraine au Congrès, ou encore les déclarations des sénateurs républicains présents à Munich ce week-end, on comprend qu’il va falloir prendre ces menaces très au sérieux.
Mais les États-Unis peuvent-ils vraiment abandonner l’Europe ?
Abandonner l’Europe non. L’OTAN ne va pas disparaitre, et les États-Unis n’abandonneront pas l’OTAN qui est un de leur meilleur outil d’influence, et qui soit dit en passant, leur permet de faire fonctionner leur industrie de l’armement. En revanche, ils peuvent sans problème baisser fortement leur contribution financière à l’organisation, ce qui laisserait les Européens bien plus démunis qu’aujourd’hui, face à une Russie qui ne cache plus ses désirs d’expansion et de domination.
Qu’est-ce qu’il faut retenir de cette Conférence sur la Sécurité ? Y a-t-il eu des annonces concrètes de la part des Européens ?
Oui, à partir de ce consensus autour de l’idée de renforcer la défense de l’Europe, il y a plusieurs annonces et pistes de réflexion qui ont été ouvertes. La dissuasion élargie déjà, comme je l’ai mentionné. Mais aussi des investissements plus importants dans la défense pour chaque État membre. La Présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, officiellement en campagne pour sa réélection, a annoncé qu’elle présentera d’ici quelques semaines une stratégie industrielle de défense. Au programme : un Commissaire européen dédié à la Défense (une première !) ; et de nouveaux programmes d’armements avec des achats conjoints pour permettre une meilleure interopérabilité des forces. Ces propositions vont dans le bon sens.
Le Secrétaire général actuel de l’OTAN, le norvégien Jens Stoltenberg, a été plus timoré à Munich concernant la défense européenne. Que faut-il en penser ?
Il est dans son rôle pour l’instant et tant qu’il n’a pas des propositions concrètes sur la table il ne peut pas s’avancer trop. Mais son mandat arrive à terme et il y a de fortes chances qu’il soit remplacé à l’été par Mark Rutte, l’ancien Premier Ministre des Pays-Bas. Depuis le début de la guerre en Ukraine, il n’a pas caché son attachement à l’idée d’en renforcement du pilier européen de l’OTAN, donc sa nomination serait probablement un atout pour l’Europe.