Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.
Aujourd’hui vous souhaitez évoquer un format diplomatique européen qui refait surface avec force dans le contexte géopolitique actuel : le Triangle de Weimar et son extension, Weimar Plus.
J’ai eu la chance de participer à un séminaire organisé à Londres le 3 avril dernier par le Centre pour la réforme européenne et la Fondation Hanns Seidel. Nous avons débattu des défis, mais surtout des opportunités qu’offre aujourd’hui le format Weimar Plus en matière de coopération sécuritaire et de défense. C’est un sujet qui est suivi de près par la communauté politique aujourd’hui, notamment à travers la question de la coopération industrielle. Et il faut dire que le moment est propice : des dirigeants comme Emmanuel Macron, Donald Tusk, Friedrich Merz ou Keir Starmer partagent cette ambition. Mais attention, le contexte politique évolue vite, et les prochaines élections dans chacun de ces payx pourraient rebattre les cartes. Il faut donc agir maintenant.
Alors justement, revenons sur ce Triangle de Weimar. Il a été créé en 1991, mais semblait être un peu tombé dans l’oubli. Pourquoi revient-il au centre des discussions aujourd’hui ?
Ce retour s’explique par plusieurs facteurs. D’un côté, des tensions dans le couple franco-allemand ont freiné certaines initiatives européennes. De l’autre, le retour au pouvoir de Donald Tusk en Pologne a permis de relancer un dialogue plus fluide et plus ambitieux entre Paris, Berlin et Varsovie. Et surtout, le contexte sécuritaire international impose de repenser la coopération européenne : l’agression russe, les incertitudes transatlantiques, les défis au Sud... Le Triangle de Weimar peut redevenir un moteur de la sécurité européenne.
Et c’est là que le format élargi, Weimar Plus, entre en jeu ?
Exactement. Weimar Plus propose d’ouvrir ce cercle à d’autres pays clés, comme l’Italie, l’Espagne, et surtout le Royaume-Uni qui ne fait plus partie de l’Union européenne. Cela permet de refléter la diversité des préoccupations sécuritaires en Europe. L’Allemagne et la Pologne sont focalisées sur la menace russe, tandis que l’Espagne et l’Italie regardent vers l’Afrique et les questions migratoires. La France, au carrefour de ces préoccupations, peut jouer un rôle de trait d’union. Cette diversité peut sembler un défi, mais elle constitue en réalité une richesse stratégique qu’il faut savoir exploiter.
Est-ce que Weimar Plus pourrait aller jusqu’à devenir un véritable Conseil de sécurité européen ?
C’est une option qui est sur la table depuis plusieurs années, et qui prend aujourd’hui un nouveau sens. Un Conseil de sécurité européen pourrait être le bras décisionnel rapide et stratégique que l’Europe n’a pas encore. Mais cela suppose d’éviter les chevauchements avec les institutions existantes, de garantir une gouvernance efficace, et surtout de conserver une légitimité politique. Si ces conditions sont réunies, Weimar Plus pourrait être le laboratoire de cette future structure. Mais attention à ne pas créer un nouveau cercle bureaucratique. L’atout du format Triangle de Weimar et Weimar Plus c’est justement son caractère informel.
Quelles actions concrètes recommandez-vous pour renforcer l’influence de ce format ?
Il y a quatre leviers prioritaires. D’abord, tenir des réunions régulières de haut niveau spécifiquement dédiées à la sécurité et à la défense. Ensuite, renforcer les exercices militaires conjoints, le partage de renseignements, et l’interopérabilité. Troisièmement, créer un mécanisme de réponse aux crises pour tester la capacité de coordination en situation d’urgence. Et enfin, s’assurer que tout cela reste compatible et non redondant avec les cadres de l’UE et de l’OTAN.
Et l’industrie de défense européenne, dans tout ça ?
C’est un pilier indispensable. Il ne suffit pas de parler stratégie, il faut aussi s’en donner les moyens. Cela passe par des investissements communs, des projets industriels partagés, et une innovation technologique accrue. La défense européenne ne pourra pas exister sans une base industrielle solide.
Et la guerre cognitive, les cyberattaques, la manipulation de l’information ? Weimar Plus peut-il répondre à ces menaces ?
Il le doit. La sécurité ne se limite plus aux frontières physiques. Les attaques hybrides, la désinformation, les ingérences dans les processus démocratiques sont devenues des menaces majeures. Il faut investir dans la résilience : l’éducation aux médias, la cybersécurité, le renforcement des institutions démocratiques sont autant d’outils indispensables. C’est une nouvelle forme de défense, plus discrète, mais tout aussi stratégique.
Pour conclure, Joséphine, pensez-vous que Weimar Plus puisse véritablement incarner l’Europe géopolitique que vous appelez de vos vœux ?
Oui, je le crois. Weimar Plus peut être bien plus qu’un club de diplomates : un catalyseur de la gouvernance sécuritaire européenne. Il peut aussi servir de modèle pour d’autres initiatives à venir. Et il ne faut pas exclure de fait des États qui seraient volontaires et pertinents en termes de capabilités pour rejoindre ce format. Mais le temps presse. Nous avons une fenêtre politique favorable aujourd’hui, elle pourrait se refermer demain. Il nous faut agir, concrètement, collectivement, et sans attendre. Et peut-être, enfin, répondre à la fameuse question de Kissinger : « Qui appeler si je veux appeler l’Europe ? ».
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.