L'œil sur l'Europe - Joséphine Staron

Les drones : test grandeur nature de la solidarité européenne

Photo de Jason Mavrommatis sur Unsplash Les drones : test grandeur nature de la solidarité européenne
Photo de Jason Mavrommatis sur Unsplash

Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.

On entend beaucoup parler des incursions russes dans l’espace aérien de l’OTAN ces dernières semaines. Pourriez-vous faire un récapitulatif chronologique des événements ?

En effet, depuis 2022, l’OTAN recense chaque année environ 300 à 500 interceptions d’avions russes à proximité ou à l’intérieur de son espace aérien. Mais ces dernières semaines, plusieurs incidents notables ont particulièrement marqué l’actualité. Dans la nuit du 9 au 10 septembre 2025, en Pologne : une vingtaine de drones russes ont franchi l’espace aérien polonais. Quatre ont été abattus, et l’épisode est considéré comme l’un des plus graves depuis le début de la guerre en Ukraine. Le 19 septembre, en Estonie : trois avions de chasse russes ont pénétré brièvement l’espace aérien estonien, avant d’être interceptés. Du 22 au 28 septembre, au Danemark et en Norvège : une vague d’intrusions de drones non identifiés a touché plusieurs infrastructures sensibles, dont l’aéroport de Copenhague et d’Oslo. Si aucune preuve officielle n’a été rendue publique, plusieurs responsables européens, dont le Premier ministre suédois, Ulf Kristersson, estiment que “tout pointe vers la Russie”.

Quelle a été la réaction de l’OTAN face aux incursions russes dans son espace aérien ?

La réaction de l’OTAN s’est faite en plusieurs temps, marquant un durcissement progressif de sa posture. D’abord, une réaction mesurée avec le renforcement de la surveillance, sans aller plus loin que la dissuasion. Ensuite, le 23 septembre s’est tenue une réunion exceptionnelle du Conseil de l’Atlantique Nord (NAC) à Bruxelles à la demande de l’Estonie, qui a marqué un tournant. Les alliés ont ouvert la possibilité pour les pays membres de recourir à la force, y compris l’abattage d’aéronefs russes. C’est la fin d’une gestion limitée au seul soutien logistique et militaire à l’Ukraine « depuis l’arrière ». La position de Donald Trump a aussi évolué. À la question « Les pays de l’OTAN devraient-ils abattre les avions russes qui entrent dans leurs espaces aériens ? », il a répondu : « Oui, je le pense. ».

Le durcissement de la position de l’OTAN est-il une bonne solution ?

La question divise les experts en sécurité internationale. Mais personnellement je pense que nous n’avons pas le choix. Pour certains spécialistes, il est nécessaire de fixer des limites explicites à la Russie, quitte à prendre le risque d’un affrontement direct, notamment être prêt à abattre un avion de chasse russe si l’Alliance veut être crédible, comme l’a fait la Turquie en 2015. Mais d’autres experts estiment qu’une trop grande clarté pourrait, au contraire, provoquer une escalade incontrôlable et les réponses ne doivent pas nécessairement être symétriques.

Faut-il craindre ces incursions russes dans l’espace aérien de l’OTAN et de l’Union européenne ?

La peur dépend beaucoup de la position de chaque acteur concerné. Pour les pays frontaliers comme l’Estonie ou la Pologne, la crainte est réelle. Ces États sont directement exposés et sont ceux qui hésitent le moins à une position de riposte. Concernant le reste de l’Union européenne, c’est d’abord un test de solidarité et aussi un test de nos défenses et de nos procédures d’engagement. Pour l’OTAN, ces intrusions constituent un vrai défi. Elles ne franchissent pas le seuil de l’agression militaire ouverte, mais chaque dénonciation publique révèle la vulnérabilité des frontières et force l’Alliance à réagir, au risque de montrer une faiblesse structurelle.

Quelles ont été les réactions et quelles sont les implications pour l’Union européenne ?

L’une des grandes inquiétudes était liée au résultat des élections législatives en Moldavie. Malgré une campagne de désinformation sans précédent menée par la Russie, le parti pro-européen moldave les a remportés. C’est un signal fort et nul doute que les récents événements et la menace russe ont joué un rôle dans le choix moldave. L’UE a également réagi à ces incursions par un projet de “mur anti-drones” en plus d’un dispositif collaboratif de surveillance. Ce « drone wall » reposerait sur des radars, des capteurs, des systèmes de détection et d’interception. L’idée est de créer une véritable barrière technologique face aux intrusions répétées. Mais plus facile a dire qu’a faire… le mythe de la protection aérienne totale doit être déconstruit. On peut se protéger davantage mais on ne peut pas promettre de tout intercepter. Même le fameux dôme de fer israélien a ses limites. Enfin, l’UE souhaite s’associer avec Kiev pour développer des moyens communs de lutte contre les drones. L’objectif est double : protéger les frontières orientales de l’UE et soutenir l’Ukraine dans sa guerre de défense contre la Russie. Ça témoigne enfin d’une prise d’initiative au sein de l’UE face à une menace grandissante.

Un entretien réalisé par Laurent Pététin.