L'œil sur l'Europe - Joséphine Staron

Un an depuis l’élection de Donald Trump : bilan et perspectives

Photo de The Now Time sur Unsplash Un an depuis l’élection de Donald Trump : bilan et perspectives
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Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.

Un an après le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, quel bilan peut-on dresser de cette première année ?

Un an après son retour, le constat est clair : Donald Trump n’a pas changé — mais le monde, lui, a basculé. En un an, il a imposé une diplomatie du bras de fer permanent. Avec la Chine d’abord, dans une guerre commerciale relancée, où chaque taxe américaine entraîne une mesure de rétorsion de Pékin. Avec Vladimir Poutine ensuite, dans une étrange danse du pouvoir : fermeté affichée, mais ambiguïté totale sur l’Ukraine. Et avec ses alliés aussi, notamment l’Europe.

Pourtant, il se présente comme un homme de paix. Le cessez-le-feu à Gaza n’est-il pas un succès diplomatique pour lui ?

C’est un succès c’est certain. Le cessez-le-feu obtenu à Gaza, sous médiation américaine, a été salué par beaucoup, mais il repose sur un équilibre extrêmement fragile. En réalité, Washington a surtout voulu tourner la page d’un conflit qui divisait ses alliés et faisait flamber le Moyen-Orient. Le problème, c’est que Donald Trump a sacrifié la dimension politique du dossier — aucune discussion sur la solution à deux États, aucun plan de reconstruction — juste une pause tactique. C’est du court-termisme diplomatique, typique du trumpisme : régler la crise du jour, ignorer le lendemain. En attendant, il a réussi là où tous les autres dirigeants ont échoué, on doit le lui reconnaitre.

Et sur le continent américain, il semble vouloir revenir à une logique de puissance régionale, non ?

Oui, et c’est peut-être la dimension la plus empblématique du nouvel impérialisme dans lequel s’inscrit les Etats-Unis. Depuis son retour, Donald Trump parle ouvertement d’un contrôle renforcé sur le canal de Panama, de nouveaux accords de défense avec les Caraïbes, et il a même relancé — sérieusement — l’idée d’un rachat du Groenland. Quant au Canada, il le traite moins comme un allié que comme un protectorat récalcitrant : Washington a déjà imposé des taxes sur l’acier et menacé de revoir le traité de libre-échange nord-américain. Et puis il y a le Venezuela : le retour au pouvoir de Nicolás Maduro et la crise migratoire ont servi de prétexte à Donald Trump pour durcir le ton, multiplier les sanctions et renforcer la présence militaire américaine dans la région.

On entend de plus en plus parler du Project 2025, cette feuille de route idéologique préparée par les alliés conservateurs de Donald Trump. Quelle influence réelle a-t-elle sur sa politique ?

Elle est immense. Ce document de près de 900 pages, élaboré par la Heritage Foundation, sert de boussole idéologique et politique à toute son administration. Il concentre le pouvoir exécutif, affaiblit les contre-pouvoirs, et replace la politique étrangère sous le prisme de la souveraineté nationale absolue. Dans les faits, cela signifie moins d’ONU, moins d’OTAN, moins d’Europe — et plus de deals bilatéraux. C’est la diplomatie de l’instinct, pas celle des institutions. Et c’est ce qui inquiète le plus les Européens.

Justement, quelles conséquences pour l’Europe ?

L’Europe paye déjà le prix de ce retour du rapport de force. Droits de douane de 15 % sur sesexportations, désengagement partiel de l’OTAN, marginalisation diplomatique… Et surtout, un climat de méfiance : Donald Trump ne cache pas son irritation face aux Européens qui, selon lui, « profitent de la protection américaine sans contrepartie ». Résultat : un vieux continent désuni, dépendant, et forcé de repenser sa sécurité. Mais le plus ironique (si ça fonctionne !), c’est que ce contexte pousse enfin les Européens à faire ce qu’ils auraient dû faire depuis vingt ans : construire une vraie politique de puissance. En tout cas c’est l’idée, même si nos divisions internes sont encore très importantes.

Pour conclure, que nous dit ce premier anniversaire de la présidence Trump sur le monde dans lequel nous entrons ?

Qu’on est définitivement sortis de l’ordre multilatéral post seconde guerre mondiale. Ce qui prime désormais, ce n’est plus la règle, c’est le rapport de force. Donald Trump ne fait pas que gouverner les États-Unis : il rééduque le monde (surtout le monde démocratique) à la logique de la puissance brute. Ses velléités expansionnistes, ses deals à courte vue, ses provocations calculées traduisent une chose : il veut marquer l’histoire comme celui qui aura détruit l’ancien monde pour en bâtir un à son image – image qui est aussi celle de nombreux dirigeants sur la planète – les Européens faisant de plus en plus figures d’exception. Reste à savoir si l’Europe — et le reste du monde — sauront écrire un autre récit avant qu’il ne soit trop tard.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.