Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.
Aujourd’hui, vous souhaitez nous parler d’une conférence à laquelle vous avez participé la semaine dernière à Varsovie, en Pologne.
Oui, les 16 et 17 novembre une conférence internationale était organisée à Varsovie sur le thème des valeurs et des politiques publiques de l’Union européenne. Il a été question des enjeux sanitaires et plus globalement de santé publique, des politiques européennes dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique, ou encore des réformes nécessaires des institutions européennes en amont de l’adhésion de l’Ukraine et des autres pays candidats.
Ce fut un moment très riche et j’ai eu le plaisir d’animer une table ronde consacrée aux enjeux de la relation transatlantique. L’idée était d’interroger les réponses des Européens et des Américains aux différentes crises que nous connaissons, et de voir comment renforcer notre coopération au lieu de nous engouffrer dans une relation de plus en plus compétitive sur les plans industriels et commerciaux.
En effet, c’est un sujet sur lequel vous revenez souvent dans vos chroniques. Pourquoi cette relation est-elle si essentielle à vos yeux ?
Parce que la relation entre les États-Unis et l’Europe n’est pas qu’une relation liée à une histoire commune, à un rapport d’interdépendance ou des liens commerciaux. Cette relation, elle s’inscrit dans l’avenir, et elle est plus que jamais importante dans un monde de plus en plus compétitif, conflictuel et dans lequel les Occidentaux se trouvent isolés à chaque nouvelle crise.
Déjà dans le cadre de la guerre en Ukraine et à l'égard de la Russie et des sanctions imposées, et aujourd'hui à l'égard de la condamnation des actes barbares du Hamas et du soutien à Israël. Certains observateurs parlent même d'une nouvelle guerre froide. Sauf qu’on pourrait carrément parler d’une guerre chaude tellement les tensions au niveau international sont fortes aujourd’hui. Et face à cette nouvelle donne, les Européens ne peuvent pas faire le poids seul, mais les Américains non plus, donc nos destins sont plus que jamais liés.
Pourriez-vous décrire un peu ce nouveau contexte dans lequel nous sommes actuellement ?
La liste est longue. Le risque pandémique, la guerre en Ukraine, le
conflit dans le Haut-Karabagh, l’attaque terroriste du Hamas qui a
conduit à une guerre avec Israël et qui menace d’embraser tout le
Proche-Orient, sans oublier les pressions de la Chine sur Taiwan et
dans l’Indopacifique, ou la guerre économique entre la Chine et
les États-Unis, dans laquelle les Européens se retrouvent embarqués
qu’ils le veuillent ou nous. Et puis si on regarde à travers notre
prisme national, la défaite culturelle, politique et diplomatique de
la politique africaine de la France est une catastrophe en termes
d’influence.
Il y a aussi d’autres éléments à prendre en
compte pour parfaire le tableau du contexte international actuel :
les institutions du multilatéralisme, notamment l’ONU, sont
totalement décrédibilisées, et cette perte de crédibilité se
fait au profit d’un renforcement des organisations régionales,
telles que les BRICS ou la Ligue Arabe.
Et enfin, en plus de tout ça, le monde se trouve confronté à de nouveaux défis majeurs : le réchauffement climatique, qui impose des transitions durables dans nos modèles sociaux et économiques ; la course technologique et les progrès rapides, notamment dans le domaine de l'IA ; la course au réarmement aussi, notamment nucléaire ; et enfin, la crise des démocraties qui sont très peu nombreuses à l’échelle du monde et qui sont fragilisées par des conflits internes, mais aussi par des ingérences étrangères extrêmement habiles et efficaces, notamment russes.
Sur tous ces points que vous soulevez, est-ce que l’Europe et les États-Unis sont alignés et défendent des positions ou des valeurs communes ?
Des valeurs communes oui. Mais la compétition fait rage. Ce qui n’est pas un problème en soi – la compétition a des vertus, notamment celle de pousser les uns et les autres à se dépasser, à toujours chercher à faire mieux. Mais on sait aussi que, poussée à l’extrême, la compétition présente un risque pour la cohésion et qu’elle peut fragiliser durablement les relations.
Les Européens en ont longtemps fait l’expérience en interne, et ce n’est toujours pas terminé quand on voit la compétition entre la France et l’Allemagne dans le domaine spatial, ou les ambitions polonaises en matière d’industrie de défense. Mais dans ce contexte qui, il faut le reconnaitre, est très défavorable aux intérêts des Occidentaux, il faut renforcer la relation transatlantique par tous les moyens.
Mais comment réconcilier les positions, par exemple concernant l’OTAN ? La France défend une vision européenne de la défense, tandis que la majorité des États européens privilégient l’OTAN.
La solution c’est de ne pas opposer les deux. Les Français doivent reconnaitre que l’OTAN, ça fonctionne. Et dire le contraire, notamment aux pays d’Europe centrale et orientale, c’est s’exposer à des critiques sans fins, et c’est contre-productif. L’Europe de la défense ne se fera pas contre l’OTAN, ou à côté de l’OTAN.
Ce serait une dispersion inutile et déraisonnée des moyens. Ce qu’il faut, c’est que les Européens s’impliquent davantage dans l’OTAN, qu’ils contribuent beaucoup plus qu’actuellement à son financement pour que celui-ci ne soit pas uniquement réservé aux États-Unis.
D’autant qu’avec la perspective du retour de Donald Trump au pouvoir dans moins d’un an la question de l’implication des États-Unis dans la défense de l’Europe se pose.
Oui mais c’est une opportunité, pas une menace ! Il faut effectivement prendre cette perspective au sérieux et l’intégrer à nos plans en matière d’investissement et de défense. Si les États-Unis se désengagent dans un avenir plus ou moins proche, nous n’avons d’autre choix que de prendre enfin le relai, et ce n’est pas une mauvaise chose, bien au contraire.
Pour que la relation transatlantique soit plus équilibrée et renforcée, les Européens doivent montrer qu’ils sont crédibles, qu’ils ont envie d’être autonome, qu’ils savent instaurer un rapport de force constructif qui impose le respect et l’envie de collaborer davantage.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.