Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.
L’actualité européenne de la semaine dernière était dense entre le Forum Globsec organisé à Bratislava en Slovaquie et le deuxième Sommet de la Communauté politique européenne à Chisinau en Moldavie.
Oui, en effet. Ce sont deux événements importants qui se sont succédé la semaine dernière et qui ont permis d’avancer sur les enjeux de sécurité, de défense européenne, mais aussi d’élargissement de l’Union. Le Forum géopolitique Globsec qui s’est tenu en Slovaquie regroupe les pays d’Europe du Nord et de l’Est et c’est un forum dédié aux enjeux de sécurité. Cette année, le Forum revêtait une importance toute particulière dans le contexte de la guerre en Ukraine, puisque les pays réunis sont quasiment tous d’anciens pays sous le joug soviétique, et qu’ils partagent des frontières communes avec l’Ukraine (Pologne, Slovaquie, Hongrie, Roumanie), ou directement avec la Russie ou la Biélorussie (Finlande, États Baltes). Et devant tous ces pays, le Président Français a d’ailleurs tenu à clarifier la position de la France vis-à-vis de l’agression russe et des conditions de la paix, en disant notamment qu’une paix durable ne pourrait pas être pensée sans que l’Ukraine retrouve son intégrité territoriale. Et ça c’est très important à entendre pour les pays d’Europe de l’Est et du Nord qui craignent un débordement du conflit.
Lors de son discours, le Président Emmanuel Macron a d’ailleurs beaucoup insisté sur la nécessité de renforcer la défense européenne, et de ne pas se contenter de l’OTAN et de l’implication des États-Unis.
Oui. Alors bien sûr il reconnaît le rôle essentiel des États-Unis aujourd’hui dans la fourniture d’aide à l’Ukraine. Ça, c’est indéniable. Mais puisqu’il s’adresse à des pays qui sont très attachés à leur appartenance à l’OTAN et à leurs relations transatlantiques, le Président Français a tenté un nouvel argument pour convaincre de la nécessité de bâtir une défense plus autonome. Cet argument, c’est celui de la volatilité américaine. Sans le nommer, il a rappelé que lorsqu’il était Président, Donald Trump s’était détourné de l’Europe (comme de toutes les organisations internationales d’ailleurs), et qu’il avait demandé aux Européens d’investir eux-mêmes dans leur défense. Mais l’administration de Barack Obama, avant lui, avait déjà initié le mouvement, même si c’était plus discret. Si la Russie n’avait pas envahi l’Ukraine en février 2022, l’implication des États-Unis en Europe, et dans le cadre de l’OTAN en Europe, serait bien moindre. C’est un fait. Et c’est là-dessus qu’a insisté Emmanuel Macron pour montrer qu’on ne pouvait pas dépendre d’un seul partenaire dont les intérêts pouvaient évoluer, et c’est bien normal, du jour au lendemain.
Pour autant, pour Emmanuel Macron, il n’est plus question de parler de « mort cérébrale de l’OTAN », comme il l’avait fait en 2019 et il a insisté sur son utilité.
Oui, et cette phrase choc qu’il avait sorti à l’époque avait durablement marqué les esprits, notamment dans cette région de l’Europe. Donc là encore, le discours à l’occasion du Globsec était le moment de rectifier un peu le tir, et de nuancer les propos tenus précédemment. Même s’il n’est pas rentré dans le détail, il a indiqué que les Européens devaient s’appuyer sur l’OTAN, certes, mais en renforçant le pilier européen de l’OTAN, notamment en ce qui concerne les achats d’armement. En effet, non seulement l’industrie européenne de l’armement n’est pas encore assez productive pour répondre aux besoins nouveaux, mais en plus, beaucoup de pays dont la Pologne, se fournissent massivement auprès des Américains ou des Sud-Coréens. Donc, finalement, le discours du Président Français avait pour objectif de convaincre ses partenaires de faire le pari de la solidarité européenne. Une solidarité d’ailleurs élargie à de nombreux pays non-membres de l’UE dans le cadre de la Communauté politique européenne qu’il a lancé il y a un an, en reprenant l’idée mort-née à l’époque de François Mitterrand 40 ans plus tôt.
Justement, que peut-on retenir de ce deuxième sommet de la CPE qui s’est tenu en Moldavie ?
Déjà qu’il a réuni près de 50 pays dont beaucoup ne font ni partie de l’UE ni de l’OTAN, ce qui est impressionnant en soi et témoigne de l’intérêt que tous porte à la démarche, même s’il y a encore beaucoup d’inquiétudes. La veille, Emmanuel Macron avait qualifié la CPE de « laboratoire géopolitique ». Et il me semble que c’est un peu comme ça en effet que tout le monde voit cette initiative : pas forcément avec grande conviction ni beaucoup d’attentes, mais en tout cas on lui laisse sa chance pour voir si ça peut apporter quelque chose. Si les questions de défense ont été abordées lors du Forum Globsec, à Chisinau c’était surtout les questions de sécurité, notamment en matière de risque cyber. Une des annonces phares qui avait été faite directement par Emmanuel Macron la veille à Bratislava, c’est notamment l’extension de la cyber réserve aux pays de la CPE, dans le cadre du « Cyber Solidarity Act » lancé par la Commission le mois dernier.
Quelles sont les chances que ce Forum de coopération perdure ? On a entendu beaucoup d’États candidats à l’adhésion à l’UE dirent qu’ils ne voulaient pas que la CPE soit un moyen de retarder leur adhésion.
Il y a beaucoup d’inquiétudes du côté des pays candidats. Et ces inquiétudes sont en partie fondées dans le sens où on n’imagine pas de faire adhérer de nombreux États en peu de temps. D’ailleurs, dans son discours à Bratislava, le Président Français a sans doute renforcé encore ces inquiétudes puisqu’il a tenu à rappeler qu’il ne pourrait pas y avoir de nouvel élargissement en l’état actuel de l’Union européenne et qu’il faudrait inventer de nouveaux formats de coopérations. C’est, en effet, la voie qui semble la plus réaliste aujourd’hui. L’Union européenne n’est pas en premier lieu une enceinte de sécurité et de défense, mais d’abord de partenariat économique, commercial et politique renforcé. C’est d’ailleurs pour ça que lorsqu’il est question de garantie de sécurité, les pays candidats se tournent d’abord vers l’OTAN. Donc la CPE, ça peut être un Forum intéressant pour approfondir des coopérations dans le domaine de la défense et de la sécurité, en attendant que certains des États qui en font partie soient prêts à intégrer l’Union européenne.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.