Retrouvez chaque semaine l'analyse d'une actualité européenne sur euradio avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.
L’attaque du Hamas en Israël le 7 octobre a constitué un choc pour les Israéliens, mais aussi dans une moindre mesure pour les Occidentaux, notamment les Européens. Encore une guerre à laquelle on ne s’attendait pas ?
La guerre entre Israël et la Hamas n’est pas récente. Mais l’attaque perpétrée samedi dernier, elle, n’avait pas été anticipée, c’est certain. Elle a surpris par son ampleur, déjà, son caractère méthodique et, surtout, par l’horreur des exactions commises. On savait toute l’hostilité – et le mot est faible – qu’il y avait entre le Hamas et Israël, mais on n’aurait effectivement pas pensé qu’un attentat de cette envergure se produirait à cet endroit-là et à ce moment-là, au lendemain des 50 ans de la guerre de Kippour. Cela faisait tellement longtemps que le conflit existait, et on était finalement habitués à des crises régulières avec le Hamas, mais pas de cette ampleur. Donc comme le 24 février 2022, les Occidentaux se sont réveillés dans un état de sidération absolue et aussi d’impuissance.
Oui, effectivement, même si les États-Unis et les Européens ont apporté unanimement leur soutien au peuple israélien, mais contrairement à l’Ukraine, on n’a pas entendu beaucoup de propositions pour essayer de régler le conflit ou d’aider concrètement Israël ?
C’est quand même un peu différent de l’invasion de l’Ukraine, puisque dans le cas d’Israël, on est face à un pays avec de très fortes capacités militaires, et le rapport de force est inversé. Si la Russie faisait office de mastodonte devant l’Ukraine, c’est l’inverse en ce qui concerne Israël et le Hamas. Mais on constate que les États-Unis ont déjà annoncé l’envoi de munitions et de renforts militaires. Ils feront peut-être davantage encore lorsque la Chambre des représentants aura élu un nouveau speaker. Du côté des Européens, on connaît les difficultés en matière de stock d’armements, et beaucoup de capacités sont déjà promises ou engagées dans la guerre en Ukraine. Donc il a surtout été question d’agir avec les outils qu’elle maitrise, dans le cas présent l’aide au développement à destination de la Palestine qui représentait environ 300 millions d’euros en 2022. Les États qui avaient suspendu leur aide financière aux palestiniens, l’Autriche et la République Tchèque notamment, voulaient que l’UE fasse de même. Mais Josep Borrell a rejeté catégoriquement cette proposition.
Oui et beaucoup fustigent l’impuissance de l’Europe, notamment dans sa politique étrangère, et estiment qu’elle n’a pas suffisamment œuvré pour la paix au Moyen-Orient. Quelle peut être la place aujourd’hui de l’Europe face à la multiplication des conflits ?
L’Union européenne n’est pas particulièrement présente au Moyen-Orient. Alors, à une époque elle était davantage dépendante de la région, notamment dans ses approvisionnements énergétiques. Puis, elle a fait le virage qu’on lui connaît vers la Russie. Pourtant, géographiquement, l’Union européenne est voisine de la région, d’abord par sa frontière avec la Turquie, et ensuite avec la Syrie et le Liban depuis Chypre. Mais jusqu’à présent la politique de voisinage s’est surtout concentrée sur l’aide humanitaire et l’aide au développement, et sur quelques missions de maintien de la paix notamment en Palestine. Elle a donc utilisé ses outils classiques, sans aller beaucoup plus loin. Mais depuis la guerre en Ukraine, il y a une prise de conscience de la part des élites européennes qu’il faut revoir toute notre stratégie en matière de diplomatie et de politique étrangère. L’éloignement d’avec la Russie, mais aussi dans une moindre mesure avec la Chine depuis la crise sanitaire, font que les Européens cherchent à diversifier leurs partenaires commerciaux et se tournent davantage vers le Moyen-Orient et les pays du Golfe. Mais aucun partenariat n’est possible dans des régions trop instables. D’ailleurs, la déstabilisation d’un certain nombre de pays africains, à laquelle la Russie n’est sans doute pas tout à fait étrangère d’ailleurs, met l’Union européenne face à un nouveau défi : celui de s’affirmer comme une puissance diplomatique crédible.
Concrètement, comment peut-elle acquérir cette crédibilité et jouer un rôle plus important ?
Alors, déjà en se positionnant comme soutien essentiel des Ukrainiens dans la guerre avec la Russie, l’Union européenne est sortie de ce qu’on pourrait appeler sa réserve diplomatique. Cette fois, elle a clairement pris parti, et il n’y a pas de retour en arrière possible. Mais pour acquérir une réelle crédibilité durable, l’Union européenne doit montrer son influence, sa capacité d’action et de réaction à chaque fois qu’un conflit surgit. C’est d’ailleurs, parce qu’elle avait bien conscience de la montée des tensions à nouveau au Moyen-Orient, que l’UE a participé à une réunion mi-septembre qui réunissait l’Égypte, la Jordanie, l’Arabie Saoudite, et la Ligue arabe, pour discuter d’un accord de paix entre Israël et la Palestine. Donc, l’Union européenne a des leviers d’action pour peser dans les relations diplomatiques. Et ces leviers sont avant tout d’ordre économique, comme ça a été le cas avec les sanctions contre la Russie, et comme certains voudraient que ce soit également le cas aujourd’hui avec la suspension des aides à la Palestine.
Mais est-ce que l’influence par l’économie et le commerce est vraiment suffisante pour peser ?
Elle est indispensable mais pas suffisante. Aujourd’hui, il faut qu’elle renforce ses capacités militaires de défense, à la fois pour pouvoir se protéger, bien sûr, elle-même, mais aussi pour créer un effet dissuasif, comme parviennent à le faire les États-Unis (même si ce n’est pas une méthode infaillible), et que ceux qui initient des conflits, a minima dans les régions où l’UE a des intérêts stratégiques, qu’ils craignent une réponse européenne. L’Europe puissance, c’est avoir conscience de ses capacités et les renforcer, mais c’est aussi le faire savoir à l’extérieur et créer des rapports de force.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.