L'œil sur l'Europe - Joséphine Staron

L’Ukraine de 2025 sera-t-elle la Tchécoslovaquie de 1938 ?

Pixabay L’Ukraine de 2025 sera-t-elle la Tchécoslovaquie de 1938 ?
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Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.

La perspective d’un cessez-le-feu en Ukraine à l’air de se préciser et la visite du Président Français à Washington semble avoir remis l’Europe dans le jeu des négociations. Mais la reprise des relations entre la Russie et les Etats-Unis inquiètent. Comment lire ce rapprochement ?

On est face à un retour des relations internationales dans leur version première moitiée du 20ème siècle avec des empires à vocation coloniale qui ne cachent plus leurs envies de prédations. Déjà la Russie qui veut récupérer les frontières de l’empire russe d’avant 1917. Ensuite la Chine qui a déjà annoncé qu’elle récupérerait Taiwan et qui lorgne sur les territoires de la mer de Chine. Et enfin, ce qui nous a le plus surpris, c’est l’entrée des Etats-Unis dans cette catégorie d’États-empires. Puisque Donald Trump a annoncé vouloir faire du Canada le 51ème état américain, vouloir aussi annexer le Groenland et le canal du Panama. Il a d’ailleurs renommé dès son arrivée le golfe du Mexique en golfe des Amériques – renommer des territoires constitue une des caractéristiques les plus classiques du colonialisme. Et au milieu de tout ça, l’Ukraine et l’Europe. L’Ukraine qui sera la première victime de cette reconfirguration des rapports de force au niveau mondial. Et l’Europe qui est face à un choix existentiel : être le vassal des Etats-Unis (ou des Russes un jour qui sait), ou bien se penser elle-même comme un empire, un empire européen.

L’Europe doit aussi avoir des visées coloniales selon vous ?

Non. Et de toute façon elle n’en aurait pas les moyens. L’Europe peut et doit inventer une troisième voie, comme elle l’a toujours fait : elle doit devenir un véritable empire sans la théorie impérialiste qui équivaut à un néocolonialisme pour toutes les puissances précitées. Mais cette troisième voie, elle n’a pas un temps infini pour la trouver. Elle a quelques mois tout au plus.

Que peut-il se passer après un accord sur un cessez-le-feu en Ukraine ?

Le monde bouge tellement vite depuis quelques mois, voire quelques semaines, qu’il est difficile d’imaginer la suite ou les suites possibles. Mais un des scénarios qui me semble probable est que la Russie de Vladimir Poutine choisisse dans les prochains mois ou un an ou deux, de tester les résistances de l’OTAN et de l’UE en attaquant un territoire otanien type pays baltes ou pays nordiques. Et si cette attaque (quelle que soit la forme qu’elle prendra) ne suscite pas de réponse immédiate et ferme de la part de l’alliance alors le Président russe saura qu’il pourra aller plus loin, une fois qu’il sera prêt. Le cessez-le-feu qui n’est pas une paix lui permettra de se réarmer et de préparer la suite.

Mais n’est-ce pas aussi un temps utile dont pourrons bénéficier ukrainiens et européens pour se réarmer également ?

Si bien sur. Pour l’Ukraine, si les Etats-Unis et/ou la Russie ne parviennent pas à renverser le pouvoir politique en place en mettant un dirigeant passif, alors on peut être certain que les ukrainiens utiliseront chaque minute du cessez-le-feu pour se préparer à la prochaine invasion russe qui ne manquera pas de venir. Pour les Européens, c’est un espoir qu’on peut formuler aujourd’hui : réarmons-nous, organisons-nous, préparons-nous dans l’éventualité quasi certaine d’un nouveau conflit à nos frontières. Si nous ne le faisons pas, l’histoire et les générations futures nous jugeront sévèrement, comme nous avons jugé la génération des accords de 1938…. Rappelons-nous que la Tchécoslovaquie avait alors été sacrifiée pour un an de paix. Un an. Pas plus. Il ne tient qu’à nous désormais de faire en sorte que l’Ukraine ne soit pas la prochaine Tchécoslovaquie. C’est une question existentielle pour les Européens.

Les Européens semblent conscients de l’enjeu désormais. Mais sommes-nous capables d’aller au bout ?

Le facteur temps est le plus difficile à estimer. Il aurait fallu commencer il y a des décennies, ou a minima en 2016 lorsque Donald Trump a été élu pour la première fois et qu’il avait déjà prévenu les Européens de ses intentions vis-à-vis de l’OTAN. On ne l’a pas écouté, sauf le Président Français Emmanuel Macron, mais il a prêché dans le désert depuis 2017 auprès de ses voisins européens. Aujourd’hui, la prise de conscience est là, mais le temps nous fait défaut. Vladimir Poutine le sait très bien : s’il attaquait en 2025 ou 2026 un état membre de l’OTAN et que les Américains décidaient de ne pas réagir, les Européens seraient vite démunis car nous ne sommes pas prêts. Nous pouvons l’être, mais cela implique une véritable union nationale ou plutôt européenne et une marche collective vers une économie de guerre. Ce qui impliquera des sacrifices en termes de politiques sociales, culturelles et autre. Car il faut trouver de l’argent et beaucoup d’argent dans un temps très court. Aujourd’hui, vu les paysages politiques fragmentés des États européens, même en France, il faudrait une volonté politique exceptionnelle pour y parvenir. Mais rien n’est impossible quand c’est l’existence même de nos démocraties, de nos libertés qui est en jeu. Je pense qu’on peut encore espérer dans un sursaut. Le souvenir de 1938 est encore présent dans nos mémoires. Espérons que ses conséquences le soient aussi.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.