L'œil sur l'Europe - Joséphine Staron

3 ans de guerre en Ukraine : l’Europe est-elle prête à se défendre ?

Photo de Mihaela Claudia Puscas - Pexels 3 ans de guerre en Ukraine : l’Europe est-elle prête à se défendre ?
Photo de Mihaela Claudia Puscas - Pexels

Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.

Dans quelques jours nous fêterons un triste anniversaire : celui de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Cet évènement a rappelé à l’Europe l’importance de garantir sa sécurité. Pensez-vous que l’UE soit aujourd’hui prête à répondre aux menaces ?

J’aimerais répondre que oui. Mais nous avons encore un long chemin à parcourir. L’Union européenne ne dispose ni d’une structure militaire intégrée suffisante, ni d’une industrie de défense optimisée et productive. Nos outils actuels, comme l’état-major militaire de l’UE ou le centre de planification (NPCC), sont sous-dimensionnés par rapport aux défis. Aujourd’hui, la défense repose essentiellement sur l’OTAN et l’engagement des États-Unis. Or, nous savons que Washington attend de l’Europe qu’elle prenne en charge sa propre sécurité. Donald Trump l’a suffisamment rappelé, JD Vance aussi d’ailleurs. Il est donc crucial que l’UE accélère son autonomie stratégique, à travers une meilleure intégration industrielle et une force militaire crédible.

La semaine dernière, s’est tenue la Conférence de Sécurité annuelle à Munich. Que peut-on en retenir ?

L’information principale c’est bien sur le discours du vice-président américain JD Vance qui a sidéré les Européens. Et il y a de quoi ! Donald Trump nous a déjà déclaré une guerre commerciale, maintenant c’est une guerre idéologique qui nous est directement adressé. Plutôt que de parler de la défense de l’Europe, JD Vance a dénoncé la décadence morale des Européens qui se seraient éloignées de leurs valeurs chrétiennes et démocratiques. Il a carrément diffusé des fake news concernant l’élection allemande et la soi-disant exclusion de l’AFD des débats politiques. On est dans un cas d’école d’ingérence étrangère dans les processus électoraux d’un état souverain, et c’est totalement assumé ! Et puis quelques jours plus tard, on apprend qu’une rencontre Poutine-Trump est en préparation et que les chefs de la diplomatie des deux pays vont se rencontrer à Riyad pour l’organiser. En gros, le sort de l’Ukraine se décidera sans les Européens. C’est ce qui a poussé Emmanuel Macron à convoquer une réunion à l’Élysée lundi avec les chefs d’états européens.

Mario Draghi propose une réforme ambitieuse de l’industrie de défense européenne. Quels en sont les points clés selon vous ?

Mario Draghi propose trois axes majeurs : d’abord, la consolidation industrielle, avec la création de grands groupes capables de rivaliser mondialement et une spécialisation des sites de production. Ensuite, il plaide pour une préférence européenne dans les achats militaires, afin de renforcer notre autonomie stratégique. Enfin, il insiste sur un financement accru de la recherche et du développement, notamment dans les technologies de rupture comme les drones, l’intelligence artificielle et les missiles hypersoniques. Ce sont des réformes ambitieuses mais indispensables pour que l’Europe ne dépende plus de fournisseurs extérieurs et puisse garantir sa propre défense.

Concrètement, que faudrait-il mettre en place rapidement pour que l’Europe devienne une puissance militaire crédible ?

Le député européen Christophe Gomart, vice-président de la Commission sécurité et défense au Parlement européen, a récemment mis en avant plusieurs idées qui sont, je crois, très pertinentes. Selon lui, il y a plusieurs mesures à prendre sans tarder. D’abord, la création d’une force de réaction rapide européenne. Ensuite, une directive de planification claire au sein de l’UE, validée par le Comité politique et de sécurité, pour assurer une montée en puissance progressive. Enfin, il est impératif d’investir massivement dans l’interopérabilité des équipements et de renforcer le financement de la défense, notamment via la Banque européenne d’investissement. La France, avec son expérience des opérations extérieures, peut jouer un rôle de leader dans cette transformation.

Mais certains pays européens craignent que cette intégration militaire ne remette en cause leur souveraineté. Comment concilier coopération et indépendance nationale ?

C’est une question légitime, et la réponse réside dans une approche flexible. Il ne s’agit pas de créer une armée européenne qui viendrait remplacer les armées nationales, mais bien de mettre en place une force collective complémentaire. Chaque État conserverait ses prérogatives, mais avec une meilleure coordination et des moyens partagés. Comme le rappelle le Général Gomart, la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et d’autres pays clés comme la Grèce par exemple peuvent montrer la voie en initiant des coopérations renforcées, tout en respectant la souveraineté de chacun. À terme, une défense européenne plus intégrée serait un gage de sécurité et non une contrainte pour les États. Et de toute façon, c’est un impératif aujourd’hui. Les Ukrainiens seront les premiers à payer le prix de notre absence de solidarité en matière de défense et d’industrie de défense. Espérons qu’ils seront aussi les derniers. C’est une question existentielle pour l’Europe.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.