Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a récemment dévoilé le plan "ReArm Europe", visant à renforcer les capacités de défense de l'Union européenne. Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste ce plan ?
Le plan "ReArm Europe" est une initiative ambitieuse de la Commission européenne qui vise à mobiliser jusqu'à 800 milliards d'euros pour renforcer les capacités de défense des États membres. Il s'articule autour de cinq mesures principales :
Flexibilité budgétaire : Suspendre temporairement les règles budgétaires de l'UE pour permettre aux États membres d'augmenter leurs dépenses de défense, ce qui pourrait libérer environ 650 milliards d'euros sur quatre ans.
Prêts pour la défense : Accorder 150 milliards d'euros de prêts bonifiés pour des projets de défense communs, tels que des systèmes de défense aérienne et antimissile.
Réaffectation des fonds : Rediriger des fonds européens existants, comme les fonds de cohésion, vers des investissements dans la défense.
Rôle de la Banque européenne d'investissement (BEI) : Lever les restrictions de prêt de la BEI pour soutenir les entreprises du secteur de la défense.
Union de l'épargne : Mettre en place un mécanisme pour mobiliser des capitaux privés en faveur de la défense, augmentant ainsi les investissements dans ce secteur.
L'objectif principal est d'accroître l'autonomie stratégique de l'Europe en matière de défense, notamment en réponse aux menaces géopolitiques actuelles, comme le conflit en Ukraine, et aux incertitudes concernant le soutien militaire des États-Unis.
Ce plan a suscité diverses réactions à travers l'Europe. Quelles sont les principales critiques ou insuffisances qui lui sont reprochées ?
Plusieurs critiques ont émergé suite à l'annonce de ce plan :
Processus décisionnel : Certains reprochent à la Commission européenne d'avoir contourné le Parlement européen dans l'élaboration de ce plan, ce qui soulève des questions sur le déficit démocratique au sein de l'UE. Mais en même temps, il y avait urgence et ça tout le monde le conçoit bien. Le temps de la démocratie est souvent un temps long dont les Européens ne bénéficient plus malheureusement, étant donné le retard accumulé sur ces questions de défense.
Charges financières : Des pays comme l'Italie s'inquiètent de l'impact de ces dépenses sur leur dette nationale. Des figures politiques italiennes ont critiqué le plan, le qualifiant de "gaspillage" et exprimant des préoccupations quant à l'augmentation des dépenses militaires.
Priorités économiques : Certains estiment que les fonds alloués à la défense pourraient être mieux utilisés pour des secteurs comme la santé ou l'éducation, surtout dans un contexte économique déjà tendu. C’est un vieux débat mais un débat essentiel, surtout en France à l’heure où on discute encore des retraites et des programmes sociaux.
Unité européenne : Bien que le plan vise à renforcer la défense collective, il existe des divergences entre les États membres sur la manière de le mettre en œuvre, ce qui pourrait affecter la cohésion de l'Union.
Comment la Commission européenne répond-elle à ces critiques ?
La Commission souligne que le plan est essentiel pour assurer la sécurité et l'autonomie stratégique de l'Europe face aux menaces actuelles. Elle insiste sur la nécessité d'une réponse collective et coordonnée en matière de défense. Concernant le processus décisionnel, la Commission rappelle que, selon les traités européens, les questions de défense relèvent principalement des États membres, ce qui limite le rôle du Parlement européen dans ce domaine, tout comme le sien d’ailleurs. On entend beaucoup d’opposants dire que la Commission sort de son rôle, qu’elle s’octroie des compétences qu’elle n’a pas. En l’occurrence c’est totalement faux. La Commission fait exactement ce qu’elle peut et doit faire selon les traités : proposer de lever des fonds, d’assouplir des règles collectives, de réaliser des achats communs, de coordonner des politiques, etc. Comme elle l’a fait pendant le Covid dans le domaine de la santé, qui n’était pas du ressort de sa compétence. Donc attention aux raccourcis sur ce sujet.
En conclusion, quelles sont les perspectives pour ce plan et pour la défense européenne en général ?
Le plan "ReArm Europe" représente une étape significative vers une défense européenne plus intégrée et autonome. Toutefois, sa réussite dépendra de la capacité des États membres à surmonter leurs divergences et à s'engager pleinement dans cette initiative. Une mise en œuvre efficace nécessitera une coordination étroite, une gestion transparente des fonds et une communication claire avec les citoyens européens sur les objectifs et les bénéfices de ce plan. Dépenser plus ne servira à rien, c’est dépenser mieux et surtout ensemble qui fera la différence.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.