Jeanne Gohier est analyste sur la finance du climat chez Fideas Capital, qui propose aux Européens d’investir « Smart for Climate », c’est-à-dire de prendre en compte les enjeux du réchauffement climatique dans leurs placements. Elle nous parle aujourd'hui du secteur de l'aviation, un secteur économique durement touché par la crise du coronavirus.
Le secteur de l'aviation est assez décrié par le mouvement écologiste, parce qu’on dit qu’il pollue beaucoup, est-ce que vous pouvez nous expliquer ?
Il faut d’abord noter que l’Europe est un des leaders dans le secteur aérien, notamment avec Airbus, c’est l’entreprise emblématique d’une industrie européenne réussie. Le secteur de l’aviation est malheureusement sous pression pour deux raisons : la crise sanitaire a permis de développer de manière très forte le télétravail et les réunions virtuelles, ce qui a beaucoup diminué les voyages en business class, qui sont d’habitude très rentables pour les compagnies aériennes. Ensuite, parce que l’avion c’est en effet un moyen de transport polluant et que la transition bas-carbone va demander des investissements énormes.
Pour vous donner quelques chiffres, avant la crise du Covid, 25 000 avions volaient dans le monde, ce qui représentait 8% de la consommation de pétrole. Même si globalement, le secteur représente « seulement » 2.6% des émissions de gaz à effet de serre, c’est un des moyens de transport les plus polluants avec la voiture quand on considère la consommation par passager et par kilomètre. Il laisse notamment des grosses traînées de condensation de vapeur d’eau qui est un gaz à effet de serre.
Est-ce la seule raison pour laquelle ce secteur est critiqué ?
Il y a d’autres raisons pour lesquelles il est critiqué : les progrès technologiques qui ont été faits n’ont pas vraiment servi à faire des économies de carburant, mais au contraire à baisser le prix des billets et augmenter le trafic aérien de manière exponentielle.
A ces critères purement environnementaux viennent se rajouter des critères sociaux. L’avion est un moyen de transport très inégalitaire : 40% des français n’ont jamais pris l’avion et les 2/3 des voyages sont effectués par seulement 15% de la population. C’est pour cela qu’il est aussi critiqué.
Concrètement quels progrès peuvent être faits ? Faut-il remplacer l’avion par le train par exemple ?
La solution n’est pas aussi simple, car ce sont des milliers d’emplois qui sont en péril et tout un pan du commerce international qui est en danger si les avions sont brutalement laissés au sol. La crise sanitaire a permis de souligner le besoin d’une transition progressive, en particulier dans ce secteur dans lequel il est difficile de trouver une alternative technologique au pétrole.
On peut effectivement remplacer certains trajets par le train : Air France a par exemple décidé de supprimer 40% des vols intérieurs (ceux qui sont desservis par le train en moins de 2h30), afin de réduire les émissions de moitié d’ici 2024. C’est un potentiel de 1,8 millions de passagers supplémentaires pour le train, et malheureusement la SNCF n’a présenté aucune solution concrète pour faire face à cet afflux de passagers potentiels.
Vous parliez tout à l’heure des progrès technologiques du secteur de l’aviation, quels sont-ils ?
Dans le secteur aérien, plusieurs solutions ont été évoquées : renouveler les flottes en préférant les avions à hélices avec des moteurs très efficaces en termes de consommation, utiliser des biocarburants, optimiser les trajectoires de vol et tracter les avions au sol au lieu de les faire rouler en autonomie.
L’innovation phare c’est l’avion à hydrogène, l’entreprise Airbus a d’ailleurs annoncé qu’elle développerait une flotte d’ici 2035. Cela représente un investissement conséquent parce qu’il faut aussi renouveler tous les moteurs et développer une technologie qui permette à un avion à hydrogène de décoller. Vient aussi la question de la production d’hydrogène, qui est encore très émettrice de gaz à effet de serre. Le seul problème des avions à hydrogène est qu’ils laissent des traînées de vapeur d’eau dans la troposphère (une des couches de l’atmosphère). Hors je le disais la vapeur d’eau c’est un gaz à effet de serre et à cette altitude les traînées ont un effet non négligeable ! La question d’un avion propre est donc encore en suspens.
L’aviation bas-carbone va donc demander des sommes considérables d’argent, quels choix doivent faire les investisseurs ?
Le rôle de l’investisseur est d’encourager l’innovation bas-carbone en apportant des capitaux auprès des compagnies aériennes et des constructeurs faisant la démarche, mais aussi auprès de tous leurs fournisseurs : par exemple, investir dans une compagnie aérienne qui décide d’utiliser beaucoup plus de biocarburants, ou de renouveler sa flotte pour avoir des moteurs moins gourmands. Cela implique aussi d’aller investir auprès des entreprises de production de biocarburants, donc auprès des fournisseurs d’énergie qui se diversifient dans le bas-carbone. Un autre exemple est d’aller encourager le développement des avions à hydrogène, en investissant auprès des fabricants de moteurs innovants, et toujours auprès des fournisseurs d’énergie développant une production d’hydrogène bas-carbone. Bref, il y a des capitaux à apporter non seulement dans le secteur aérien mais sur toute la chaîne de valeur.
crédits photo: ThePixelman